UNIVERSITÉ CHEIKH ANTA DIOP DE DAKAR
Faculté des lettres et sciences
humaines
Département de lettres modernes
Option Sciences du Langage
Mémoire de DEA
Communication politique et séduction à
travers la Déclaration de politique générale du Premier
ministre Idrissa Seck à l'Assemblée nationale le 03
février 2003
Présenté par :
Sous la direction de : Modou Ndiaye
Mamadou THIAM Maître de Conférence en Science
du Langage
Année académique 2004-2005
REMERCIEMENTS
Mes remerciements les plus sincères à :
- mon épouse, Aïcha, pour son soutien et ses
encouragements sans cesse renouvelés ;
- mon Directeur de mémoire, le professeur Modou Ndiaye.
Sans votre sens de la vision et votre compréhension, nul doute que ce
travail n'aurait pu être conçu, a fortiori,
finalisé;
- Monsieur le professeur Pape Alioune Ndao, votre appui et vos
conseils ont été cruciaux ;
- Monsieur le professeur Alioune Diané à qui je
suis si redevable ;
- l'ensemble de mes professeurs, du Sénégal et
de la France, qui ont participé à ma formation ;
- l'ensemble du personnel de Senagrosol-Consult, notamment
ceux qui ont participé à l'édition de ce
mémoire ;
- Madame la Directrice du Cesti, pour ses conseils et
orientations ;
- Monsieur le Directeur de Senagrosol-Consult, Mamadou
Daffé, qui, après m'avoir permis de consacrer une partie de mon
temps de travail à mes travaux de recherches et de séminaires, a
bien voulu accepter de prendre en charge l'impression de ce mémoire.
- mes amis et collaborateurs du journal Le Devoir,
avec à leur tête, mon ami Alioune Fall;
- mon jeune frère, Idy Demba Thiam ;
- mon beau-frère et ami Ballé Preira ;
- ma soeur Hourèye Thiam ;
- ma « petite maman », Bineta
Diédhiou ;
- Moustapha Thiam, archiviste à la RTS, pour avoir
sacrifié plusieurs week-ends, afin de m'assister dans le visionnage des
archives de la Télévision nationale.
- Monsieur le Directeur de Radio Télévision
Sénégalaise, Daouda Ndiaye, pour m'avoir permis d'accéder
aux archives ;
- messieurs les journalistes, Antoine Diouf de la Radio Futurs
Médias, Mamadou Thior de la RTS ;
- au CODESRIA, pour m'avoir accepté dans leur
séminaire « médias et bonne Gouvernance en
Afrique ».
- DEDICACES
A feu, mon père, El Hadji Mickayilou THIAM dit
Demba,
Ne craignez pas pour ceux que vous
laissez.
Votre mort, en les blessant, va les mettre au
monde.
A mon fils, Ali Mamadou THIAM, « y a que toi
qui me fais ça » !
TABLE DES MATIÈRES
INTRODUCTION GÉNÉRALE
2
MOTIVATIONS
3
OBJECTIF
4
HYPOTHÈSES
4
PROBLÉMATIQUE
5
MÉTHODOLOGIE
6
PREMIÈRE PARTIE :
DÉFINITIONS, CONTEXTUALISATION ET CADRAGE
8
INTRODUCTION :
9
CHAPITRE 1 : DÉFINITIONS
10
1. La Déclaration de Politique
Générale
10
1.1 Approche générique
10
1.2 Raison d'être
11
1.3 Enjeux
11
1.3.1 Enjeux de communication :
12
1.3.2 Enjeux de représentation
12
1.3.3 Enjeux de pouvoir
13
1.4 Organisation et déroulement
14
1.4.1 Mode de déroulement
14
1.4.2 Lieu de déroulement
14
2. Communication politique
15
2.1 L'espace public
16
2.1.1 Le principe de publicité
16
2.1.2 L'opinion publique
17
2.1.2.1 Les acteurs de l'opinion publique
18
2.1.2.2 Les enjeux liés à
l'opinion publique
23
2.2 Communication :
24
2.3 Politique :
27
2.4 Synthèse
28
3. Séduction
29
CHAPITRE 2 : CONTEXTUALISATION ET
CADRAGE
32
1. Cadre Institutionnel
32
2. Contexte Politique
33
CONCLUSION :
36
DEUXIÈME PARTIE : LES
RESSOURCES DE LA SÉDUCTION : L'ETHOS
37
INTRODUCTION :
38
CHAPITRE 3 : L'ETHOS PREDISCURSIF
41
1. L'image d'Idrissa Seck avant sa
nomination à la primature
41
2. Le pré formatage de l'image de
soi
43
2.1 Une démarche participative
43
2.1.1 Mode opératoire
44
2.1.2 Les cibles
45
2.2 Un déblayage médiatique
45
2.2.1 Dispositif de mise en scène
télévisuelle
47
2.2.2 Processus de légitimation
48
2.2.2.1 Mécanismes de polissage
48
2.2.2.2 Mécanismes de
conditionnement
49
CHAPITRE 4 : L'ETHOS DISCURSIF OU
IMAGE DE SOI
53
1. La
« phoronesis »
55
2.
L' « areté » ou l'image de l'homme vertueux
57
2.1 L'homme de foi
58
2.2 Le juste
60
2.3 L'homme humble
63
2.4 L'homme sincère
67
3. L' « eunoia »
ou la bienveillance
70
3.1 Le serviteur du peuple
71
3.2 La politesse
76
3.2.1 La politesse positive :
77
3.2.1.1 Les marques de courtoisie
77
3.2.2 La politesse négative
81
CONCLUSION :
86
CONCLUSION GÉNÉRALE
87
BIBLIOGRAPHIE
91
COMMUNICATION POLITIQUE ET SÉDUCTION
À TRAVERS LA DÉCLARATION DE POLITIQUE
GÉNÉRALE DU PREMIER MINISTRE IDRISSA SECK À
L'ASSEMBLÉE NATIONALE LE 03 FEVRIER 2003.
1
INTRODUCTION
GÉNÉRALE
MOTIVATIONS
L'engouement prononcé des sénégalais pour
la chose politique n'est plus à démontrer. Il découle
d'une longue pratique datant de l'époque coloniale et s'est
accentué à la faveur de l'approfondissement de la
démocratie. En tant qu'activité ayant un impact sur la vie
sociale, économique et culturelle, la politique ne saurait
échapper aux champs d'investigations de plusieurs disciplines, de la
sociologie aux sciences politiques, en passant par l'économie et la
psychologie.
Toutefois, dans cette tentative d'analyse et de
compréhension du champ politique, les disciplines relevant des sciences
de l'information en générale, des sciences du langage en
particulier, semblent en être les parents pauvres. Ce qui est paradoxal
à bien des égards. En effet, l'activité politique, en
démocratie, est indissociable de son mode de conquête, d'exercice
et de conservation, à savoir l'adhésion des citoyens autour d'un
parti, d'un programme et d'un homme. Or, cette adhésion se fait
essentiellement au moyen de pratiques langagières par lesquelles les
acteurs politiques tentent de rallier le maximum de citoyens à leur
cause. Pourtant, rares sont les travaux universitaires consacrés
à l'analyse du discours politique sénégalais.
De même, à la faveur des avancées
démocratiques, nous assistons à la consolidation et à
l'élargissement du concept d'espace public au nom duquel le politique
est interpellé, au quotidien, et ne peut plus se permettre d`attendre la
veille des échéances électorales pour communiquer sur ses
projets et/ou réalisations.
En outre, avec l'avènement des moyens de communication
de masse, un tournant nouveau s'offre aux praticiens de la politique. En effet,
la multiplication des moyens d'information et le développement des
Nouvelles Technologies de l'Information et de la Communication modifient
foncièrement les rapports aux discours et pratiques symboliques
liés à la politique.
Toutes choses qui rendent nécessaire un travail
poussé dans les domaines de l'élaboration de stratégies
politiques, à la fois discursives et non discursives, dont la fonction
est de favoriser l'adhésion des citoyens. Dans cette perspective, il
serait intéressant d'étudier, dans le cadre plus approprié
d'une thèse, les grandes tendances du discours politique
sénégalais, de leur conception à leur réception en
passant par les processus de médiation et de transformation.
OBJECTIF
Dans cette présente étude, notre objectif,
légitimement plus modeste, se borne à l'analyse des rapports
entre la communication politique et la séduction, à travers un
corpus de base constitué essentiellement par la Déclaration de
politique générale du Premier ministre Idrissa Seck, à
l'hémicycle de l'Assemblée nationale, le 03 février 2003
et retranscrit par l'Assemblée nationale (Seck 2003).1(*)
Il s'agit particulièrement de voir comment les acteurs
du champ politique - champ par essence d'action, de persuasion et de
domination, redéfinissent leurs pratiques langagières et
symboliques, en fonction des mutations induites par le développement des
médias et des NTICs. Autrement dit, comment le développement des
moyens d'information et de communication, qui accroît la place du
spectacle, de l'image, de la mise en scène, et de l'apparence, au
détriment de la réalité, de la logique rationnelle et de
l'information, impacte sur les stratégies discursives et
communicationnelles du politique.
HYPOTHÈSES
L'approfondissement de la démocratie renforce la
croyance en l'existence d'une opinion publique de plus en plus exigeante au
sein d'un espace public consolidé. Le développement des moyens
d'information et de communication rend nécessaire un changement des
rapports entre politiques et citoyens. Ces moyens d'information et de
communication, de plus en plus, se positionnent en espaces de médiation,
entre une opinion publique « éclairée », et
une classe politique plurielle. Ces nouveaux espaces de médiations
court-circuitent les schémas classiques régissant les rapports
entre politiques et citoyens.
Car les mutations induites par les NTICs font qu'aujourd'hui,
nous évoluons dans un monde où « la vision acquiert un
statut supérieur à la parole et l'image s'impose au
mot » (Sartori 1998, trad. Pereyra 2005) ; un monde au sein
duquel la position prédominante de la vision fait passer l'individu du
statut de « créature symbolisante », à celle
de « créature spectatrice ». Dès lors,
l'homo sapiens se transforme, pour reprendre la formule de Sartori
(op.cit.), en homo videns qui
se lasse de lire, préfère le flash
abrégé de l'image synthétique, qui le fascine et le
séduit (...) renonce aux relations logiques, aux séquences et aux
réflexions raisonnées (...) [et] succombe aux impulsions
immédiates, emportées et soumises aux émotions. (Sartori
1998, trad. Pereyra 2005)
Ainsi, face à cet attrait de l'image et du
sensationnel, l'homme politique est appelé, de plus en plus, à
verser dans l'émotionnel et dans la mise en scène. De ce fait, il
a tendance à basculer dans la « société du
spectacle » (Debord 1992), et apparaît, de moins en moins,
comme un individu dont il faut partager les idées, mais plutôt
comme un leader qu'il faut aimer. Il ne se contente plus, dès lors, de
convaincre, mais doit s'attacher à plaire et à séduire.
Plaire et séduire par son discours, certes, mais aussi par sa
physionomie, sa mine, sa mise et sa démarche, en somme par l'image
idéale de soi qu'il projette.
PROBLÉMATIQUE
Sans pour autant nier l'importance de l'argumentation
rationnelle, nous pensons que la différence, de plus en plus, se fait au
niveau de l'émotionnel. La conviction cédant le terrain à
la séduction, la compréhension à l'émerveillement,
l'analyse à la contemplation, la critique à l'adoration. Une
rhétorique émotionnelle qui emprunte, entre autres, les chemins
d'une image de soi à la fois présentée et
représentée.
Cette tendance à la séduction serait plus
manifeste si elle se confirmait avec la Déclaration de politique
générale dont le caractère institutionnel, la
portée économique et sociale, et la solennité des deux
institutions qu'elle implique (le Législatif et l'Exécutif),
pourraient préjuger le bannissement du moi, de la passion et du
spectacle, pierres angulaires de toute visée séductrice. Or,
parler d'image de soi, de passion et de spectacle, conduit forcément
à aller au-delà du champ du langage et des pratiques discursives,
pour explorer les domaines de la communication para verbale et non verbale, de
la mise en scène et autres pratiques symboliques.
MÉTHODOLOGIE
Cette présente étude emprunte son orientation et
sa démarche aux théories des sciences de l'information et de la
communication. Celles-ci étant un carrefour où se retrouvent et
s'entremêlent plusieurs disciplines et champs d'analyse que sont la
linguistique, la sociologie, la rhétorique, la science politique, la
pragmatique etc., avec tout de même une option davantage tournée
vers l'analyse du discours.
Dans cette perspective, nous serons tenu de nous
éloigner des vues issues de la tradition saussurienne considérant
le langage comme un « système linguistique
abstrait ». Déjà, Bakhtine avait fini de
s'élever contre ce qu'il appelle le « saussurisme ».
Car le langage est à chercher
dans la communication verbale concrète, non dans le
système linguistique abstrait des formes de la langue, non plus dans le
psychisme individuel des locuteurs. (Bakhtine 1977 : 137)
Ensuite, nous sommes de ceux qui pensent, avec Courtine, que
le discours politique, tel qu'il est transmis au plus grand nombre, est
une représentation extrêmement complexe où
les discours sont imbriqués dans des pratiques non verbales, où
le verbe ne saurait être dissocié du corps et du geste, où
l'expression par le langage se conjugue à celle du visage, où le
texte est indéchiffrable en dehors de son contexte, où l`on ne
peut plus séparer parole et image. (Courtine 1991 : 2)
De ce fait, une importance capitale sera accordée, dans
cette étude, non seulement au contexte global (politique,
institutionnel, social) de la période concernée, mais aussi aux
ressources autres que discursives, qui participent de la visée
séductrice, via la projection de l'image de soi.
Ainsi, dans cette étude, qui compte deux parties, nous
consacrerons la première à un exercice de définition des
termes clés, suivi d'une contextualisation politique et d'un cadrage
institutionnel et social, afin de mieux cerner les conditions et enjeux
liées à la Déclaration de politique
générale.
La deuxième partie sera consacrée à la
description et à l'analyse des ressources de la séduction par le
biais de l'image de soi. Ce faisant, nous reviendrons d'abord sur l'image
préalable du Premier ministre Idrissa Seck, avant de voir comment
celle-ci aurait subi un pré formatage et un lissage valorisant.
PREMIÈRE
PARTIE : DÉFINITIONS, CONTEXTUALISATION ET CADRAGE
INTRODUCTION :
L'étude des rapports entre la communication politique
et la séduction à travers la Déclaration de politique
générale du Premier ministre Idrissa Seck nous paraît
soumise à l'accomplissement de deux actes préalables.
D'abord, il est important de procéder à un
éclairage, à la fois conceptuel et fonctionnel, des termes
clés du triptyque séduction, communication politique, et
Déclaration de politique générale. Cet éclairage
conceptuel nous permettra de mieux cerner les principaux termes autour desquels
tourne notre étude.
Ensuite, nous accorderons, dans cette partie, une attention
particulière au contexte politique, au cadre institutionnel et à
la dynamique d'interaction sociale.
Le contexte politique est inséparable de la
Déclaration de politique générale, dont il conditionne, en
partie, la tonalité, l'orientation et la réception. Le cadre
institutionnel, quant à lui, légitime, structure et organise les
modalités de déroulement de la Déclaration de politique
générale.
CHAPITRE 1 : DÉFINITIONS
1. LA DÉCLARATION DE
POLITIQUE GÉNÉRALE
Nous définirons la Déclaration de politique
générale sous l'angle de son genre, de sa raison d'être, de
ses enjeux et de son mode opératoire. L'étude du genre nous
amènera à préciser son champ d'appartenance discursive. Sa
raison d'être nous permettra de revenir sur ses fonctions
institutionnelle et politique. L'étude de son mode opératoire
nous amènera à analyser son mode d'organisation et de
déroulement. Enfin l'analyse des enjeux portera sur ses enjeux de
pouvoir, de représentation et de communication.
1.1 Approche
générique
En tant que texte liminaire donnant lieu à un
échange entre le Chef du Gouvernement et l'Assemblée nationale,
la Déclaration de politique générale s'inscrit dans le
cadre d'un débat. De manière générale, le
débat est un échange organisé entre au moins deux
locuteurs, pour le compte d'un public plus où moins passif. Il est
régi par des règles (règles de prise de parole, de temps
d'intervention, de disposition etc.), définies d'avance, avec un
modérateur chargé d'en assurer le respect. Une autre marque du
débat est son caractère public.
En tant que pratique sociale, l'exercice du débat est
soumis à des conditions de légitimation qui s'imposent à
ses pratiquants. Ces derniers doivent détenir des titres ou avoir un
statut qui les en rend dignes. C'est l'un des genres qui a le plus
résisté au temps et aux moeurs.2(*)
A travers les âges, les contextes et les motivations, le
débat remplit des fonctions variées. Mais la plupart du temps, il
obéit à une vocation délibérative. En ce
sens, il est intimement lié à la démocratie. Par
ailleurs, le caractère indirect du débat par lequel le
véritable destinataire n'est pas l'interlocuteur, mais plutôt le
public - qui n'intervient pas directement, et la grande part
accordée à la mise en scène, renforcent la charge
spectaculaire dont il est porteur.
1.2 Raison d'être
La Déclaration de politique générale est
l'occasion de mettre en relation deux parmi les trois catégories
d'institutions au Sénégal : l'Exécutif (plus
précisément le Gouvernement) et le Législatif à
travers l'Assemblée Nationale.3(*). C'est une obligation constitutionnelle régie
par l'article 55 de la Constitution qui stipule :
Après sa nomination, le Premier ministre fait sa
Déclaration de politique générale devant
l'Assemblée Nationale. Cette Déclaration est suivie d'un
débat qui peut donner lieu à un vote de confiance à la
demande du Premier ministre».
Elle consiste, pour le Premier ministre, Chef du Gouvernement,
à venir décliner son programme devant l'Assemblée
Nationale composée des députés, élus du peuple. De
la sorte, la Déclaration de politique générale entre dans
le cadre de la mission de contrôle de l'Exécutif dévolue au
pouvoir législatif. Elle permet au Premier ministre nouvellement
désigné de renforcer sa légitimité en
bénéficiant de l'onction des représentants du peuple, tout
en mettant en évidence l'importance du Pouvoir Législatif dans le
dispositif Institutionnel.
1.3 Enjeux
La Déclaration de politique générale est
porteuse d'enjeux de pouvoir, de représentation et de communication.
1.3.1 Enjeux de
communication :
La Déclaration de politique générale est
porteuse d'enjeux de communication dans la mesure où elle est l'occasion
d'échanges entre l'Exécutif et le Législatif. En
permettant un débat entre ces deux Institutions, elle est l'occasion
d'une mise en oeuvre, à la fois de la communication Gouvernementale, et
de la communication Parlementaire. Chacune de ces deux Institutions profite de
l'occasion pour véhiculer son identité, montrer sa
vitalité, et affirmer son importance. Elle permet, en outre, au
Gouvernement, de décliner, à l'intention des citoyens, sa vision
politique et son programme économique et social.
Par ailleurs, la Déclaration de politique
générale est l'occasion, pour le Premier ministre, en tant que
leader politique, de gagner en visibilité et en notoriété.
De même, elle participe à légitimer l'Assemblée
nationale en montrant à tous les citoyens son importance
stratégique, en ce qu'elle est l'instance de validation et de
confirmation du pouvoir présidentiel. Elle donne aussi l'occasion,
à chaque parti politique et à chaque député, de
faire montre de son savoir et de son savoir-faire au service du Peuple.
1.3.2 Enjeux de
représentation
La notion de représentation est porteuse de trois
sens : institutionnel, esthétique et diplomatique.
Le sens diplomatique de la représentation
réfère à l'échange de diplomates, de
représentants entre les Etats. Le sens esthétique de la
représentation renvoie aux rituels mis en scène par la
Cité, et par lesquels elle donne à voir sa propre
identité : fête, spectacle ou cérémonials,
à travers lesquels les valeurs fondamentales d'une société
sont mises en scène et représentées de manière
ludique et décalée.
Le sens institutionnel évoque la dimension politique en
ce sens que l'Assemblée nationale fonctionne comme un condensé de
la Nation, qu'elle incarne, et dont elle est à la fois
l'émanation et l'image. Dès lors, se comprend sa fonction
socialisante, par l'institution de rites et de cérémonials, qui
participent au processus de socialisation et de construction de
l'identité citoyenne dans toute Démocratie. C'est ainsi qu'elle
se veut la vitrine et la matérialisation d'une société
plurielle mais policée et organisée. Les débats qui y ont
cours, entre ses membres ou entre elle et les autres pouvoirs, participent de
la matérialisation et de la célébration de l'idéal
démocratique par le biais du pouvoir appartenant au peuple qui en
délègue les prérogatives à ceux qu'il estime dignes
de le représenter, ainsi que l'illustre le principe républicain
consigné à l'article premier de la Constitution :
« Gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple ».
D'ailleurs, le Premier ministre Idrissa Seck, à l'entame de son adresse,
corrobore cet état de fait :
Monsieur le Président de l'Assemblée Nationale,
Honorables Députés, le Peuple, souverain dans ses
décisions, vous a assigné la mission d'être le
médium honoré par lequel je lui présente humblement,
aujourd'hui, ma feuille de route devant conduire à la prise en charge
efficace de ses attentes...(Seck 2003 : 5)
Dès lors, la Déclaration de politique
générale intègre le registre des rites solennels qui
permettent de vivifier la notion de Démocratie représentative. Et
ce, d'autant plus que les conditions de sa survenue (nomination d'un nouveau
Premier ministre), en font un indicateur de rupture en ce qu'elle prouve la fin
d'une séquence politique et l'avènement d'une autre.
1.3.3 Enjeux de pouvoir
La Déclaration de politique générale
charrie des enjeux de pouvoir en ce qu'elle consacre la rencontre, voire la
confrontation, entre deux Institutions différentes : le
Gouvernement, dont les membres sont nommés, et qui a pourtant la charge
de conduire la politique de la nation, et l'Assemblée nationale,
constituée d'élus du peuple ayant une prise moindre dans le
vécu quotidien des citoyens qu'ils représentent. Ces enjeux de
pouvoir varient en fonction de la nature du régime politique et du
rapport de force au Parlement4(*).
1.4 Organisation et
déroulement
Comme précisé plus haut, la Déclaration
de politique générale s'inscrit dans le cadre d'un débat
organisé et structuré. En effet, le débat est régi
par des règles bien précises qui en garantissent le bon
déroulement.
1.4.1 Mode de
déroulement
Les acteurs directs du débat de politique
générale sont : le Premier ministre, les
députés, le Président de l'Assemblée nationale.
Le débat de politique générale comporte
quatre phases : l'ouverture de la séance, la déclaration du
Premier ministre, la discussion générale et la clôture de
la séance. Le Président de l'Assemblée Nationale ouvre,
clôt la séance, et assure la modération des débats.
Le Premier ministre, une fois la séance ouverte, procède à
sa déclaration de politique générale qui lui permet de
décliner son programme.
La discussion générale, quant à elle, se
déroule en quatre étapes :
- Première séance de questions des
députés5(*)
réponse du Premier ministre ;
- Deuxième séance de questions des
députés
- Réponse du Premier ministre.
1.4.2 Lieu de
déroulement
La Déclaration de politique de générale
et les débats qui l'on suivie se sont déroulés dans
l'hémicycle de l'Assemblée nationale. Cet hémicycle, de
forme circulaire, favorise les échanges. Les différentes
composantes de l`Assemblée, disposées en demi-cercle, font face
au Président de l'Institution dont le siège est haut
perché.
Le Premier ministre et les membres du Gouvernement sont
placés sur un des coins de l'hémicycle, à la droite du
Président. Juste en dessous du Président, se situe la tribune
à partir de laquelle les orateurs peuvent venir pour s`exprimer.
Illustration 1 vue d'ensemble de l'hémicycle de
l'Assemblée Nationale
2. COMMUNICATION POLITIQUE
Une première conception réduisait la
communication politique à la propagande ou à la communication
électorale des partis politiques. Dans cette perspective, la
communication politique se perçoit plus en terme de messages et
d'attitudes que les politiques déploient en direction des citoyens.
Toutefois, avec le dépassement de la théorie de
la « seringue hypodermique », le développement des
moyens de communication de masse, de techniques de mesures de l'opinion, une
plus grande part est accordée, non pas seulement aux messages
délivrés, mais aussi et surtout à leur réception,
en terme d'appropriation, d'indifférence ou de rejet. Dès lors,
à côté de l'acteur politique, s'affirment de plus en plus,
d'autres acteurs, comme les médias et le citoyen, à travers le
concept d'opinion publique, mais aussi les spécialistes de disciplines
diverses dont le rôle est, soit de mesurer l'opinion, à travers
des sondages, soit d'orienter l'opinion publique dans un sens bien
défini (spécialistes de la communication et du marketing
politique).
Nous tenterons, sur la base d`une analyse sommaire du concept
d`espace public auquel la communication politique est redevable,
d'éléments d`explication des termes
« communication » et « politique », de
définir la communication politique.
2.1 L'espace public
La notion d`espace public a été
formalisée dans les années 60 par Jurgen Habermas (1978).
L'espace public serait le cadre au sein duquel co-existent et interagissent les
concepts d'Etat-social , de principe de publicité, d'opinion
publique etc. Nous nous appuierons essentiellement sur les deux derniers,
à savoir le principe de publicité et l'opinion publique.
2.1.1 Le principe de
publicité
S'appuyant sur les travaux de Habermas, Alain Girod
définit le principe de publicité comme le
devoir qu'a l'Etat de rendre public, de faire connaître
au public, ses actes, ses décisions, ses projets, ses
délibérations, etc., soit directement, soit par
l'intermédiaire de la presse, de façon à ce que les
citoyens, dûment informés, puissent organiser un débat
public dans lequel ils puissent faire publiquement usage de leur Raison, afin
que puisse se constituer une « opinion publique »
éclairée, la Loi et l'action de l'Etat étant
« censées refléter » ladite opinion
publique. (Girod 2000 : 305)
Au Sénégal, comme dans toute démocratie,
le droit, pour les citoyens, d`accéder à l'information est une
réalité. Elle est garantie par la Constitution.6(*) D'ailleurs, toutes les
assemblées élues (Assemblée nationale, Conseil municipal,
Conseil rural, Conseil régional) garantissent le caractère public
de la plupart de leurs séances. En outre, les actes
réglementaires sont publiés au journal officiel. Dès lors,
les conditions d'une appropriation des décisions publiques par les
citoyens sont réunies. Le caractère public des décisions
et actes pris par les autorités étatiques renforce la
volonté de celles-ci de conférer à leurs actions le
maximum d'attractivité et de pertinence auprès de l'opinion
publique.
2.1.2 L'opinion
publique
La notion d'opinion publique est très complexe.
Certains considèrent qu'elle n'est qu'un
« artefact » et qu'elle « n'existe
pas » (Bourdieu 1980 : 222-223). D'autres, comme Habermas, pour
l'avoir théorisée, ne sauraient la nier. Ce dernier, de l'opinion
publique nous dit qu'elle
revêt un sens différent selon qu'on la revendique
en tant qu'instance critique face à la
« publicité » imposée, corrélative de
l'exercice du pouvoir politique et social, ou selon qu'on s'en sert pour
désigner l'instance « réceptrice » de la
« publicité » de démonstration et de
manipulation, vantant des biens de consommation, des programmes politiques, des
institutions ou des personnalités (Habermas 1978 : 246),
et qu'elle est « l' unique fondement reconnu qui
permette de légitimer la domination politique »
(op.cit. : 248). Plus pratique, Patrick Champagne s'intéressera peu
à l'existence ou non de l'opinion publique, pour insister sur la
croyance en son existence chez la plupart des individus. A ce propos, il
constate :
L'opinion publique des instituts de sondage existe parce que
ces derniers ont, depuis, réussi à faire croire en la valeur
scientifique de leurs enquêtes et à transformer ainsi ce qui
était à l'origine, en grande partie, un simple artefact
technique, en réalité sociale. (Champagne 1990 : 122)
2.1.2.1 Les acteurs de
l'opinion publique
Les principales composantes de l'opinion publique sont :
la société civile, comprenant les leaders d'opinion et les
simples citoyens, les hommes politiques, les hommes des médias, les
professionnels des sondages et les spécialistes en marketing et
communication politique. Chacune de ces composantes a ses modes de pression,
et d'expression.
ü Les hommes politique :
Les hommes politiques et leurs appareils structurés
(les partis politiques) constituent l'une des composantes les plus importantes
de l`opinion publique. A la faveur de la démocratisation, le
Sénégal est passé du régime de parti unique, au
pluralisme intégral, en passant par le multipartisme
limité.7(*)
C'est ainsi qu'en 2003, date de la Déclaration de
politique générale faisant l'objet de cette présente
étude, il y avait pas moins de 75 partis politiques. Toutefois, il faut
distinguer trois grandes catégories : les parties que nous
qualifierons d' « inactifs », les partis
« souteneurs » et les partis
« leaders ».
Les partis « inactifs »8(*) sont ceux qui ne participent
presque jamais aux élections et ne mènent pas d'activités
régulières. Ils constituent la majorité des structures
politiques reconnues.
Les partis « souteneurs »9(*) sont ceux qui, bien que menant
des activités plus ou moins régulières, ne participent aux
élections qu'en qualité de souteneurs, c'est à dire qu'ils
s'alignent rarement aux élections sous leur propre bannière.
Enfin, nous avons les partis dits
« leaders » qui sont, en générale, ceux
régulièrement représentés à
l'Assemblée nationale. Ils ne dépassent pas la dizaine.10(*) Les partis politiques
sénégalais sont caractérisés par leur tendance trop
marquée à la personnalisation. Ils ont à leur tête
des leaders inamovibles autour de qui s'articule et se déroule la vie
des structures politiques.
Les partis politiques s'expriment à travers diverses
manifestations : meetings, réunions, conférences de presse,
congrès, fora, allocutions, colloques, communiqués de presse,
interviews, affichage, relations presses etc. Certains partis politiques, ou
hommes politiques, parmi les mieux nantis, aussi bien au sein de l'opposition
qu'au sein du pouvoir, mettent même en place des organes de presse et
médias pour servir de relais à leur messages et vision du monde.
Avant l'Alternance, au sein de l'opposition de
l'époque, le cas le plus notoires était constitué par la
création, en 1998, du journal Sopi11(*), de la part du PDS. Après l'Alternance,
le même journal servira de relais au PDS nouvellement arrivé au
pouvoir mais sera appuyé par d'autres journaux proches des
libéraux comme le quotidien Le Messager. Lorsque le Parti
socialiste était au pouvoir, il s'appuyait sur le journal Le
Débat.
En dehors des organes de presse, les partis et hommes
politiques investissent, de plus en plus, dans les Nouvelles Technologies de
l'Information et de la Communication, par la création de sites Internet.
C'est le cas de l'AFP, du PDS, du PS, de AJPADS, de la LDMPT.
En outre, l'importance de la communication est attestée
par l'existence de chargés de la communication et de portes-parole.
Toutefois, une différence de taille existe, s'agissant
des ressources et supports de communication, entre les partis politiques. Cette
différence est fonction des moyens financiers dont ils disposent, mais
aussi et surtout de leur position par rapport au pouvoir.
Ainsi, les partis au pouvoir s'appuient, en particulier, sur
les médias dits d'Etats, notamment la Radio Télévision
Nationale (RTS). Celle-ci fait la part belle aux activités du
Gouvernement et des partis membres de la mouvance présidentielle et
n'hésite pas à faire un black-out sur les activités des
partis d'opposition.12(*)
ü La société civile
La société civile regroupe l'ensemble des
acteurs non engagés activement dans les logiques de conquête ou de
conservation du pouvoir. Elle regroupe des organisations intervenant dans
plusieurs domaines (développement, défense des droits de l'homme,
défense des consommateurs), les citoyens apolitiques, les leaders
d'opinion (dans les domaines associatifs, intellectuels, religieux etc.).
Les modes de communication de ces acteurs de la
société civile sont divers et variés. Les organisations
structurées (ONG, associations) développent une approche
communicationnelle proche, en termes de supports de communication, de celle des
partis politiques. En effet, elles utilisent les médias, les
réunions, des campagnes d'information et de sensibilisation, des marches
etc.
Le fait notable est la possibilité offerte au simple
citoyen de s'exprimer et de faire partager son opinion au plus grand nombre,
par le biais de nouveaux espaces d'expression. Au niveau de la presse
écrite, c'est l'existence de pages réservées à la
contribution des sénégalais sur des questions
stratégiques ou d'actualité. 13(*) Il en est de même pour les radios14(*), ainsi que d'Internet15(*) qui, nonobstant son faible
taux d`accès, permet tout de même un échange entre citoyens
autour de diverses questions politiques, sociale et économiques.
ü Les instituts de sondage
Au Sénégal, il existe des instituts de sondage
dont le rôle est, entre autres, de mesurer l'opinion dans les domaines
économiques et politique.
Les instituts de sondage ont plusieurs domaines
d'activités dont les enquêtes d'audience des médias et les
sondages politiques retiendront particulièrement notre attention dans
cette étude.
En ce qui concerne les enquêtes tendant à
déterminer le taux d'audience des médias, deux principales
démarches existent.
La première, ce sont les enquêtes
régulièrement menées par des Instituts de sondage,
notamment le plus connu, l'institut BDA, tous les 6 mois. Ces enquêtes
déterminent la part de marché occupée par deux
catégories de médias : la presse écrite et la radio
qui constituent les types de médias majoritaires au
Sénégal.
La deuxième démarche est la résultante
d'une commande de la part d'une entreprise de presse sur sa
notoriété, son lectorat ou des questions d'actualité.
Les sondages politiques sont, quant à eux, plus
complexes. En effet, de leur pratique à leur usage, se dressent des
contraintes juridique, technique et administrative
quasi-insurmontables.16(*)
En dehors des sondages classiques, il existe aussi d'autres
« sondages » qui se font essentiellement à travers
les Nouvelles Technologies de l'Information et de la Communication, notamment
Internet.
ü Les leaders d`opinion
Les leaders d`opinion sont constitués par les
intellectuels, les responsables d'organisations associatives, les religieux
etc.
ü Les médias
Les médias constituent un maillon stratégique
dans le processus de constitution de l'opinion publique. Nous nous
intéresserons ici principalement aux médias dits de
« masse » avec une ouverture vers les Nouvelles
Technologies de l'Information et de la Communication. Au moment de la
Déclaration de politique générale, on notait l'existence
d'une floraison d'organes d'information répartis entre la presse
écrite, la radio, la télévision et les ressources du
Net.
La presse écrite est caractérisée
par son instabilité liée à des difficultés
financière, juridique, éthique, et technique. Toutes choses qui
justifient cette « misère » (Kassé 2002)
qu'elle vivrait. Cependant, en dépit de ces difficultés, nous
pouvions recenser, en 2003, pas moins d'une vingtaine d'organes de presse
écrite, tant privés que publics, paraissant
régulièrement, dont les trois quart sont constitués par
des quotidiens « nationaux » et le reste par des
hebdomadaires.
Comme pour la presse écrite, la radio est
caractérisée par sa diversité, avec une co-existence entre
chaînes privées et publiques. Globalement, en dehors de cette
distinction privé/public, l'univers de la radio est traversé par
trois grandes catégories : les radios d'information
générale à vocation plus ou moins nationale, les radios
thématiques, et les radios de proximité ou radios communautaires.
La télévision, quant à elle, était
caractérisée, au niveau national, par une situation de monopole
exercée par la RTS. Toutefois, cette situation est minorée par
un accès à des chaînes de télévision
étrangères.
ü Les citoyens
Les citoyens sont au centre du concept et des enjeux
liés à l'opinion publique. Paradoxalement, ils sont ceux qui
accèdent le moins aux moyens d'expression et d'influence dans le domaine
de l'espace public. En dehors des élections, qui sont des modes
d'expression indirecte, les citoyens s'exprimaient principalement dans l'espace
public sénégalais à travers divers mode de manifestation,
de protestation ou de soutien liés, le plus souvent, à des
événements comme celui qui fait l'objet de cette présente
étude, à savoir la Déclaration de politique
générale.
Mais avec les mutations démocratiques et
médiatiques intervenues, de nouveaux canaux d'expression et de
participation à l'espace public voient le jour.
Sur le plan législatif, la nouvelle Constitution
garantit le droit d'expression élargi à la liberté de
marche et de manifestation.17(*)
Sur le plan médiatique, trois éléments
nouveaux accroissent les possibilités d'expression des citoyens :
le développement et la diversification des moyens d`information,
l'aménagement, dans les médias existant, d'émissions, de
programmes ou de rubriques réservés aux citoyens, et le
développement des applications liées aux NTIC, notamment les
sites d'information sur Internet.
2.1.2.2 Les enjeux
liés à l'opinion publique
Comme dans une arène, le champ de l'opinion publique
regroupe des acteurs divers porteurs d'intérêts
spécifiques, voire antagonistes.
Les hommes politiques, dont la vocation est la conquête
et l'exercice démocratique du pouvoir, cherchent à obtenir
l'adhésion des citoyens autour de leur programme, sinon de leur
personne. Dans ce cadre, ils s'appuient sur la plupart des autres composantes
de l'espace public, sous l'angle de la communication politique. En effet,
les sondages sont utilisés pour une meilleure connaissance de la
réalité des rapports de force que les spécialistes et
agences de communication doivent rendre favorables à leurs clients. Pour
ce faire, les leaders d'opinion et les médias sont
démarchés. Ces derniers apparaissent comme des
élément et des espaces d'intermédiation, de
façonnage, voire de « fabrique de l'opinion »
(Blondiaux 1998).
De même, les professionnels de l'espace politique
(agences de sondages ou de communication), en tant qu'entreprises de prestation
de services, insistent sur l'importance, pour l'homme politique, d'une
connaissance de la tendance dominante de l'opinion publique afin d'oeuvrer pour
l'avoir de son côté.
Les médias, quant à eux, profitent des
activités politiques, des événements, crises et enjeux
dont elles sont porteurs, afin d'engranger le maximum d'audience qui fait leur
notoriété et conditionne la confiance des annonceurs, sources de
leur principaux revenus.
La diversité des acteurs aux intérêts
spécifiques mais solidaires fait de l'espace public un lieu ambivalent
où co-existent manipulation et argumentation, conditionnement et
confrontation, logique économique et enjeu de pouvoir.
Entre les intervalles de chacun de ces couples, la
séduction occupe une place prépondérante.
2.2 Communication :
Communication vient du latin communicare et signifie
mettre en commun, partager. Mais cette conception première va
évoluer pour prendre en compte la notion de diffusion de l'information,
notamment avec l'apparition de supports de diffusion à large spectre.
C'est ainsi que nous distinguons deux formes principales de communication.
D'une part, nous avons la communication directe ou interpersonnelle, qui
renvoie au sens premier de partage, et concerne l'échange direct
d'informations entre au moins deux individus. D'autre part, nous avons la
communication « médiatée » qui s'appuie sur
des supports afin de véhiculer l'information. Dominique Wolton utilise
les expressions « communication normative » et
« communication fonctionnelle » (Wolton 1997) pour
désigner ces deux formes de communication. L'une des premières
tentatives de description assez complète de la communication nous est
fournie, à travers la formulation d'un « schéma de la
communication » (Jakobson 1963 : 214). Ce schéma
intervient, certes, après celui de Shannon et Wiever, mais a le
mérite de tenter d'organiser les différents pools de la
communication que seraient le destinataire, le destinateur, le contexte, le
message, le contact et le code, autour de 6 fonctions à savoir la
fonction émotive, la fonction référentielle, la fonction
conative, la fonction poétique, la fonction phatique et la fonction
métalinguistique.
CONTEXTE
DESTINATEUR MESSAGE DESTINATAIRE
CONTACT
CODE
Figure 2 Schéma de Jakobson
Ce schéma de Jakobson, en dépit de sa
clarté et de sa simplicité, n'en demeure pas moins - parce
qu'elle est peut être trop simple, sujet à contestation de la part
de plusieurs linguistes.18(*) Nous ne reviendrons donc pas sur ce débat
largement évoqué par plus indiqués que nous. Nous nous
contenterons de proposer la reformulation du schéma de Jakobson par
Orecchioni (Orecchioni 1999 : 22)19(*).
Compétences
Linguistique et
para-linguistique
Compétences
Idéologique
et culturelle
Déterminations
« psy- »
Compétences
linguistique et
para-linguistique
Compétences
Idéologiques
et culturelles
Déterminations
« psy- »
Contraintes
de l'univers
de discours
Modèle de
production
Modèle
d'interprétation
Contraintes
de l'univers
de discours
EMETEUR
RECEPTEUR
REFERENT
Encodage - MESSAGE - décodage
Canal
Figure 3 Schéma de la communication de
Orecchioni
Ce schéma de la communication, élaboré
par Orecchioni, convient doublement au corpus faisant l'objet de notre
étude. D'abord, sur le plan générique, en ce qu'il
s'adapte fort bien au discours politique, champ auquel relève la
Déclaration de politique générale. Ensuite, au plan
méthodologique, en ce qu'il confère une place importante aux
compétences idéologique et culturelle ainsi qu'aux
déterminations psychologiques. Toutes choses capitales dans le mode de
projection et de réception de l'ethos qui constitue l'axe principal
à partir duquel nous étudierons la séduction.
2.3 Politique :
La racine grecque, « polis », qui signifie
cité, confère au mot « politique » son sens
commun de « art de gérer la Cité ».
Toutefois, la forme adjectivale du mot « politique »
réfère à deux substantifs de genre différents comme
l'a si bien distingué Philippe Braud : le politique et la politique
(Braud 1992). Le politique étant le domaine de l'action et des rapports
de pouvoir ; la politique, la pratique de la parole et de la
représentation symbolique.
Toutefois, cette distinction entre le politique et la
politique devient poreuse si on intègre la dimension de la parole. En
effet, l'exercice de la parole, que Braud associe à la politique est, en
même temps, indissociable du politique qui serait, selon lui, champ
d'actions et espace de pouvoir. En effet, la parole ne constitue-t-elle pas
l'un des instruments les plus importants de conquête et de conservation
du pouvoir ? En outre, depuis Austin, nous savons que « dire,
c'est faire » (Austin 1970) ; la parole, le langage,
n'étant plus un simple moyen de communication réduit à sa
simple dimension locutoire, mais un instrument d`action fortement
marqué par ses fonctions illocutoires voire perlocutoire20(*).
Cela est d'autant plus avéré pour le champ
politique qui est quasiment indissociable de l'exercice de la parole.
D'ailleurs, du discours politique, Bourdieu nous dit qu'il est :
une pré-diction qui vise à faire advenir ce
qu'elle énonce; elle contribue pratiquement à la
réalité de ce qu'elle annonce par le fait de l'énoncer, de
le pré-voir et de le faire pré-voir, de le rendre concevable et
surtout croyable et de créer ainsi la représentation et la
volonté collectives qui peuvent contribuer à la produire .
(Bourdieu 1992 : p.150)
D'où la difficulté de cerner, avec
précision, le concept « politique », comme le
concède J.P. Gourévitch, qui nous en fournit une
définition que l'on qualifierait de « structurelle »
:
La politique est un cercle dont le centre est partout et la
circonférence nulle part. La politique est une recherche de contrat
entre des professionnels qui réclament un accord de l'opinion sur le cap
à suivre quitte à en fixer le meilleur mode de navigation, et
cette opinion qui leur en délègue bon gré mal gré
la détermination des modalités et du tempo tout en suivant ou en
contrôlant les péripéties du parcours. (Gourévitch
1998 : p.14)
Cependant qu'un autre, comme pour réconcilier les deux
pôles du concept politique, le définit comme « une lutte
pour l'appropriation de signes-pouvoir. » (Bonnafous 1995 :
68)
Dès lors, le politique n'est pas simplement circonscrit
aux acteurs directs que sont les responsables des partis, mais inclut aussi
leurs cibles, à savoir, le citoyen-électeur et les
intermédiaires constitués par les acteurs médiatiques.
2.4 Synthèse
La communication politique, comme nous venons de le constater,
embrasse le vaste champ de la production des messages, de ses modes, à
la fois de conception, de diffusion et d'interprétation, mais aussi des
techniques de sondage et d'enquête d'opinion. Elle est indissociable du
concept d'espace public.
Dès lors, nous pouvons définir la communication
politique par l'ensemble des pratiques et techniques,
représentationnelles et discursives, par lesquelles s'instaurent un
échange et une interaction dans et entre les principales
catégories de la société, à savoir les acteurs
politique, les citoyens et les intermédiaires issus de l'univers
médiatique, des sondages d'opinion et des firmes chargées de
gérer l'image des hommes politiques.
3. SÉDUCTION
Le Dictionnaire de l'Académie Française
définit la séduction de la manière suivante :
Action de suborner, de corrompre des témoins.
Séduction se dit absolument de l'action de séduire une jeune
fille ou une femme, de corrompre son innocence, sa vertu. Il se dit aussi de
l'attrait, de l'agrément qui rend certaines choses propres à
séduire.
C'est dire toute l'ambiguïté du mot qui
réfère à la fois à des pratiques illégales,
illicites, en même temps qu'il connote un attrait que l'on exerce ou qui
s'exerce sur nous, malgré nous et sans que nous sachions pourquoi. Ce
qui amène le psychanalyste Sirois à écrire :
Dans la séduction la personne détournée
de son but et de sa course est menée ailleurs que là où
elle se trouve ou que là où elle veut aller. Ce
détournement implique une force, et s'exerce sous la motion d'un charme
ou la puissance d'un attrait. (Sirois 2005)
Le côté négatif trouve son explication
dans l'origine du mot qui vient du latin se-duceré signifiant
« mener à part ». Toutefois, comme le précise
le Dictionnaire de l'Académie, Il s'emploie absolument, surtout
dans la dernière acception renvoyant à l'attrait et au charme.
Par là, la séduction emprunte à la dimension ludique qui
amène Baudrillard (1979 : 18), à l'interpréter
« en termes de jeu, de défi, de relations duelles et de
stratégies des apparences (...) ». Une dimension ludique qui exige
d'elle un travail d'adaptation et d'innovation. Toutes choses qui lui
confèrent, pour reprendre Baudrillard, le statut de
« cérémonial souple » (1979, op.cit. :
174) par lequel toute norme préétablie peut être
contournée, violée. Car c'est un univers au sein duquel
« le choix de la règle vous y délivre de la
loi » (1979, op. cit. : 182)
Appliquée à la politique, nous avons du mal
à partager la conviction de Baudrillard (op.cit. : 75), comme quoi
« la séduction est ce qui ôte au discours son sens et le
détourne de sa vérité ». Pour Baudrillard,
« la stratégie de la séduction est celle du
leurre ». Certes, mais nous pensons que la séduction est
d'abord, et avant tout, un processus interactif entre deux actants, le
séducteur et sa cible que le premier voudrait transformer en être
séduit. Dès lors, dans le jeu politique comme dans la
séduction, la vérité n'existe pas en soi. La
vérité, dans ces deux champs, est davantage à chercher
dans l'impact, avéré ou pas, sur la cible que dans le bien
fondé de sa démarche.
Selon Rossignol (2002 : 238), « la
séduction, si peu morale soit-elle, est une dimension fondatrice des
rapports de pouvoir». Aussi, la question de la séduction est-elle
prépondérante en politique. En effet, en tant que
« lutte pour l'appropriation de signes-pouvoir »
(Bonnafous, op.cit. : 68), la politique vise le ralliement d'un plus grand
nombre afin de bénéficier de leur confiance pour exercer le
pouvoir. C'est un champ marqué, par essence, par sa dimension
performative.
Aussi, refusons-nous de procéder, comme Baudrillard,
à cette distanciation, quasi-épistémologique, entre
séduction et politique21(*). Nous pensons, au contraire, que le rapport entre
politique et séduction est un rapport de connivence et de
complémentarité, plutôt que d'hégémonie. En
effet, autant la séduction exercée sur les électeurs peut
permettre à l'homme politique d'accéder au pouvoir, autant la
détention du pouvoir et l'exercice de celui-ci par la prise de
décisions pertinentes et utiles, peuvent être source de
séduction. Nous avons donc là une dimension spéculaire des
rapports entre séduction et politique. La séduction étant
source de pouvoir, le pouvoir aussi fonctionnant comme vecteur de
séduction.
Si, comme l'écrit Sirois (2005), « toute
séduction s'établit sur le déploiement d'un réseau
de signes sensibles », séduire en politique, ne consiste pas
tout simplement à convaincre par des arguments relevant du logos
(logiques et rationnels). Car nous sommes à l'ère de l'homo
videns. Et ce dernier, selon Pereyra (2005) :
habite le monde du spectaculaire, dominé par les
célébrités (...) aussi différentes que puissent
être les situations ou les cultures locales, la popularité domine
le marché, l'audimat règne. Nous approchons de la fin du
siècle et chaque pays du « village global » a
transformé sa société en audience et sa population en
téléspectateurs passifs hypnotisés par la magie du
spectaculaire.
Et comme l'ont rappelé Perelman et Olbrechts-Tyteca
(2002 : 23), « pour qu'une argumentation se développe, il
faut, en effet, que ceux auxquels elle est destinée y prêtent
quelque attention ». Ainsi, l'homme politique, sans doute tenu par la
loi de l'adaptation, tente de satisfaire son public davantage porté vers
l'image et le sensationnel.
Désormais, séduire, c'est aussi et surtout
plaire. Plaire par une image de soi (ethos), attrayante, qui ne répugne
ni au vernissage, ni au lissage par des moyens non plus discursifs uniquement,
mais aussi, par un paraître, une gestuelle, voire une mise en
scène à grande échelle permettant d'intégrer la
nouvelle « société du spectacle » (Debord
1999).
CHAPITRE
2 : CONTEXTUALISATION ET CADRAGE
Nous ne saurions aborder les rapports entre la communication
politique et la séduction, via la Déclaration de politique
générale du Premier ministre Idrissa Seck, sans pour autant
éclairer le contexte dans lequel celle-ci a été faite.
Contexte dont l'interaction avec les signes garantit la
« valeur » de la « signification »
(Klinkenberg 1996 : 311). Ainsi, nous accorderons, dans cette
étude, une attention particulière au cadre institutionnel et au
contexte politique.
1. CADRE INSTITUTIONNEL
En démocratie, nous avons deux grandes
catégories de régimes politiques : le régime
parlementaire, qui donne plus de pouvoir aux chambres des représentants
du peuple, et le régime présidentiel, qui donne le primat au Chef
de l'Etat et à son Gouvernement. Mais, quelque soit la nature du
régime, les jeux de pouvoir varient en fonction des rapports de force
entre les différentes composantes du Parlement. S'il y a
coïncidence entre la majorité au Parlement et les détenteurs
du pouvoir Exécutif, les problèmes sont moindres. Par contre, si
les tenants de l'Exécutif sont minoritaires, ou relativement
majoritaires, cette situation accroît les enjeux de pouvoir et renforce
la dimension conflictuelle de la Déclaration de politique
générale.
Au Sénégal, nous avons un régime
présidentiel. Dans ce cadre, et contrairement au régime
parlementaire intégral où le Premier ministre est
l'émanation du Parlement, c'est le Chef de l'Etat qui détermine
la politique de la Nation et nomme le Chef du Gouvernement chargé de la
conduire22(*).
Dès lors, l'aspect confrontation de la
Déclaration de Politique Générale semble, sans être
absent, faible en apparence, dans la mesure où nous avons un
régime présidentiel disposant d'une majorité forte
à l'Assemblée. Ce qui accroît la dimension
représentative et communicationnelle de la Déclaration de
Politique Générale.
Aussi, ne peut-on analyser la Déclaration de politique
générale sans étudier le contexte politique qui l'a
induite et auquel elle doit sa raison d'être.
2. CONTEXTE POLITIQUE
La Déclaration de Politique Générale, qui
est étudiée ici sous l'angle des rapports entre la communication
politique et la séduction, est celle de Monsieur Idrissa Seck, militant
du Parti Démocratique Sénégalais au pouvoir.
Il a été nommé Premier ministre en
novembre 2002, à la suite d'événements politiques et
sociaux cruciaux qui accroissent, de manière considérable, les
enjeux liés à son face à face avec les
députés.
Le Parti Démocratique Sénégalais est
arrivé au pouvoir lors des élections présidentielles de
février et mars 2000, à la faveur de la première
Alternance démocratique au Sénégal, sur la base d'une
large coalition politique. Dès lors, son exercice du pouvoir est d'abord
caractérisé par le partage de celui-ci avec ses alliés.
C'est ainsi que le poste de Premier ministre a d'abord été
confié à un allié, Moustapha Niasse, de l'Alliance des
forces de progrès (AFP), d'avril 2000 à mars 2001.
En mars 2001, à la veille des élections
législatives, une rupture fracassante s'opère entre les deux
principaux alliés de la coalition au pouvoir. Cette rupture
entraîne la démission du Premier ministre Moustapha Niasse, ainsi
que celle des ministres de son parti et ceux d'autres partis appartenant
à sa mouvance politique. Pour gérer le Gouvernement, à
moins de deux mois des élections législatives, un Premier
ministre (de transition ?) est nommé. Ce Premier ministre avait
deux caractéristiques principales : d'abord, c'était la
première fois, dans l'histoire politique sénégalaise,
qu'une femme occupait cette fonction. Ensuite, dans le contexte d'un pouvoir
dans la conquête duquel les politiques ont joué un rôle
décisif, avec une large coalition regroupant plus d'une dizaine de
partis, le fait marquant dans cette nomination, est que le titulaire du poste
est un technocrate sans aucune appartenance politique.
Le Parti Démocratique Sénégalais, chef de
file de la coalition Sopi au pouvoir, remporte largement les
élections législatives d'avril 2001, mais garde toujours à
la tête du Gouvernement le technocrate Mame Madior Boye. Sa large
victoire aux élections locales de mai 2002 achève la dynamique de
conquête de toutes les instances décisionnelles. Dès lors,
le moment était venu pour un exercice plus marqué du pouvoir,
avec la nomination, à la tête du Gouvernement, d'un membre du
parti dominant. Mais la survenue d'événements sociaux vont
ralentir ce processus : il s'agit principalement du naufrage du bateau
le Joola.
Le naufrage du Bateau le Joola va mettre le pouvoir
dans une posture délicate qui va difficilement de pair avec un affichage
démesuré de son hégémonie politique. Dès
lors, le pouvoir s'efforcera d'adopter un ton et une démarche
conciliateurs en appelant les sénégalais à se
réunir autour de l'essentiel. Mais ce souci de consensus sera
accompagné par une volonté de mieux faire face au
mécontentement populaire et aux assauts d'une opposition de plus en plus
confiante, en disposant d'un Premier ministre plus bagarreur, donc politique,
par essence.
C'est dans ce contexte que l'on assiste à la
« migration » de Monsieur Idrissa Seck,
précédemment Ministre d'Etat, Directeur de Cabinet du Chef de
l'Etat, à la « station » primatoriale, en novembre
2002. Sa nomination consacre la mainmise définitive des libéraux
sur toutes les instances de décision du pays.
Le contexte politique surchauffé, avec d'une part,
l'effritement de la Coalition au pouvoir et le renforcement de
l'opposition ; d'autre part, la volonté des libéraux
d'assumer, enfin, sans complexe, leur statut de leader politique
incontesté, dans lequel Idrissa Seck sera appelé à la
tête du Gouvernement, va conférer à sa Déclaration
de Politique Générale une dimension toute nouvelle, qu'aucune de
celles de ses prédécesseurs n'avait connue. D'autant que, pour la
première fois depuis l'Alternance, une coïncidence parfaite a lieu
entre le Chef du Gouvernement et la majorité à l'Assemblée
Nationale.
Toutes choses qui vont donner à la Déclaration
de Politique Générale du nouveau Premier ministre une tournure
événementielle très forte. Cette tournure
événementielle sera en outre favorisée par le goût
prononcé du Premier ministre pour le marketing politique, d'une part, et
d'autre part, par le contexte médiatique sénégalais
marqué par une diversité des supports.
CONCLUSION :
La Déclaration de politique générale est
un impératif constitutionnel. Son exercice est tributaire de
considérations politique et sociale. De son orientation, se
dégagent les grands axes devant rythmer la vie économique et
sociale de la nation. Dès lors, elle interpelle, au-delà de la
classe politique, toutes les composantes de la Nation. Ce faisant, elle
constitue un moment phare dans un espace public qui, à la faveur de la
démocratie, se veut le lieu et l'espace d'un échange entre les
différentes entités qui la composent.
Avec le développement de la croyance en l'opinion
publique, l'avènement, la pluralité et la
généralisation des moyens d'information, la Déclaration de
politique générale cesse d'être un simple face à
face entre l'Exécutif et le Législatif. Elle ne sert plus
seulement à décliner, discuter et retenir les grandes orientions
de l'Etat. Elle devient, en même temps, le moment et le lieu d'un
« grand oral » voire un « talk show »
généralisé entre les acteurs politiques, avec comme
arbitre, les médias et comme juge suprême le peuple.
Il s'agira alors, de plus en plus, de séduire. Une
séduction qui prend essentiellement les contours de la projection
stratégique d'une image de soi en phase avec les valeurs, attentes et
aspirations de l'auditoire.
DEUXIÈME PARTIE :
LES RESSOURCES DE LA SÉDUCTION : L'ETHOS
INTRODUCTION :
L'univers de la séduction est des plus complexes.
Souvent il nous arrive de trouver quelqu'un séduisant sans pour autant
être capable de comprendre le pourquoi de cet attrait exercé sur
nous. De même, le mannequin qui reçoit des hourras, l'acteur ou le
chanteur dont la prestation suscite transes et émerveillements ne saisit
pas toujours ce qui, dans sa démarche ou prestation, a ravi son
auditoire. C'est dire que la séduction, en tant qu'action sur autrui,
est un tout. Un tout composite, mélange savant, dont l'entrelacement
équilibré de diverses composantes peut, seul, permettre la
réalisation.
Pour Aristote, tout discours s'organise autour d'un triptyque
constitué par l'ethos, le logos et le pathos. Et la séduction,
qui participe de la volonté du locuteur de conquérir son
auditoire, relèverait d'une rhétorique psychologique. Celle qui
s'appuient sur l'ethos et le pathos.
Sans pour autant évacuer la force de l'argumentation
rationnelle, renvoyant au logos, encore moins la charge émotionnelle
véhiculée par le pathos, nous analyserons principalement les
visées séductrices du Premier ministre Idrissa Seck, à
travers le concept d'ethos. L'ethos, selon Barthes, est constitué par
(...) les traits de caractère que l'orateur doit
montrer à l'auditoire (peu importe sa sincérité) pour
faire bonne impression (...) L'orateur énonce une information et en
même temps il dit : je suis ceci, je ne suis pas cela. (Barthes 1966 :
212)
Ainsi, l'ethos se révèle comme une construction
de l'identité d'un acteur par lui-même et par des
« adjuvants ». Une construction identitaire qui s'appuie,
sur la doxa, c'est-à-dire le vraisemblable, qui n'est
rien d'autre que l'idée que se font les autres sur nous-mêmes.
Dès lors, l'ethos s'avère des plus complexes. Il intègre,
d'une part, des éléments discursifs et non discursifs. Les
éléments discursifs de l'ethos renvoient au fait que le locuteur
construit une image de soi à travers son discours. Il s'agit là
d'une image discursive projetée, qui n'est pas forcement conforme
à son moi réel. D'autre part, l'image représentée
de soi peut relever de pratiques autres que discursives.
En effet, elle intègre tout ce qui
(...) contribue à émettre une image de l'orateur
à destination de l'auditoire. Ton de voix, débit de la parole,
choix des mots et arguments, gestes, mimiques, regard, posture, parure, etc.,
sont autant de signes, élocutoires et oratoires, vestimentaires et
symboliques, par lesquels l'orateur donne de lui-même une image
psychologique et sociologique ». (Declercq 1992 : 48)
Par ailleurs, les modalités de représentation de
l'image d'un acteur peuvent être directes ou indirectes. Elles sont
directes lorsqu'elles proviennent du personnage concerné, et indirectes
lorsqu'elles sont portées par un autre actant que nous nommerons ici
adjuvant.
Enfin, dans la sphère publique, tout individu qui prend
la parole, ou qui intervient, est, bien avant même sa prise de parole, ou
son intervention, investi d'un certain nombre de qualités et de
défauts, d'attributs spécifiques, réels ou imaginaires.
Nous sommes là en face de représentations que
l'opinion se fait de chaque acteur de la sphère publique. Cette image
que l'opinion retient de l'acteur social, bien avant sa prise de parole, est ce
qu'on nomme ethos préalable ou ethos prédiscursif. Dès
lors, étudier l'ethos discursif d'un locuteur, revient d'abord à
décrire son ethos prédiscursif qui renvoie à la
doxa, c'est-à-dire la connaissance préalable que le
public a du locuteur.
Ce faisant, dans cette deuxième partie consacrée
aux ressources de la séduction, nous étudierons, dans le premier
chapitre, l'ethos préalable de Monsieur Idrissa Seck afin de mieux voir
comment cet ethos préalable subit une tentative de reconstruction, avant
même la Déclaration de politique générale. D'abord,
par le Premier ministre lui-même, à travers sa
« démarche participative », et par
l'intermédiaire de la Télévision nationale.
Dans le deuxième chapitre, nous verrons comment
l'entreprise de séduction s'élabore à travers un ethos
discursif, ou représentation discursive d'une image de soi attrayante,
voire idéale. Une représentation de soi qui emprunte au triptyque
aristotélicien repris et actualisé par la Pragmatique et les
spécialistes de l'énonciation : la
« pronésis » ou le bon sens,
l' « areté » ou la vertu et
l' « eounoïa » ou la bienveillance.
CHAPITRE 3 : L'ETHOS
PREDISCURSIF
1. L'IMAGE D'IDRISSA SECK AVANT
SA NOMINATION À LA PRIMATURE
Contrairement à l'ethos discursif qui renvoie à
l'image que le locuteur construit dans son discours, l'ethos préalable
réfère à l'image préexistante de l'acteur de la
sphère publique, en l'occurrence, ici, le Premier ministre Idrissa Seck.
Ce dernier, né en 1959, est un militant de longue date du Parti
démocratique sénégalais dont il est le numéro deux
depuis 1998. C'est en 1988 qu'il effectue une entrée dans la
sphère publique, en devenant, à l'âge de 28 ans, le
Directeur de campagne du candidat Abdoulaye Wade à l'élection
présidentielle de février 1988. C'est ainsi, qu'après la
défaite du Parti démocratique sénégalais à
l'élection présidentielle de 1988, il retourne en France
poursuivre des études à l'Institut d'Etudes Politiques de Paris.
Par la suite, il séjournera aux Etats-Unis où il travaillera
comme consultant. Revenu au Sénégal, il fera partie des hommes
choisis par le Secrétaire général du Parti
démocratique sénégalais, Abdoulaye Wade, pour
siéger dans un Gouvernement d'union nationale entre 1995 et 1998. Durant
toute cette période, il n'a jamais eu de base électoral, ni de
mandat électoral d'envergure nationale. Par contre, il n'a cessé
d'incarner l'image du stratège surdoué, qui préfère
la réflexion stratégique au sommet au militantisme à la
base. C'est d'ailleurs en 1998 seulement qu'il entre véritablement dans
la bataille politique à la base, en dirigeant la liste
départementale de son parti lors des élections
législatives dans sa ville d'origine, Thiès. Quelques mois
auparavant, il bénéficie de la défection du numéro
deux, de fait, de son parti, Monsieur Ousmane Ngom. Ce dernier crée sa
propre formation politique en 1998, le Parti libéral
sénégalais (PLS), et accusera Idrissa Seck de profiter de sa
proximité avec le Secrétaire général du PDS afin de
placer ses hommes à toutes les instances de pouvoir. Bien que battu par
le Parti socialiste, dans sa ville natale de Thiès, Idrissa Seck n'en
sera pas moins intronisé Secrétaire Général Adjoint
du PDS. Aux élections présidentielles de 2000, nommé
Directeur de campagne, il mettra en oeuvre une stratégie de
communication novatrice inspirée du marketing politique américain
bâtie autour de la « Marche bleue »23(*).
Cette élection consacre la victoire de son candidat,
Abdoulaye Wade, et marque l'avènement de l'Alternance, après un
règne sans partage de quarante ans du Parti socialiste. Nommé
Ministre d'Etat, Directeur de cabinet du Président Abdoulaye Wade, poste
qu'il commentera en disant : « j'y suis en silence et à l'abri
des regards », (Sall, 2001), il assoira son pouvoir en mettant
en place un réseau constitué, pour la plupart, de ses amis et
fidèles partisans qui se verront nommés à des positions de
pouvoir24(*). En
même temps, il s'efforcera de combattre ses adversaires, aussi bien
à l'intérieur du PDS25(*), qu'au sein des partis alliés26(*). Ses assauts
répétés seront à l'origine de la démission
du Premier ministre Moustapha Niasse27(*). Après la démission de Moustapha
Niasse, Idrissa Seck demeure à son poste de Ministre d'Etat, Directeur
de cabinet du Président et en profite pour consolider son pouvoir. Et
ce, d'autant plus que le nouveau Premier ministre, Mame Madior Boye28(*), est un technocrate, sans
appartenance, ni base politique. Après sa démission, Idrissa Seck
sera nommé Premier ministre, consacrant ainsi un homme qui a toujours eu
l'ambition « en bandoulière » et qui,
déjà, avait inscrit sur son site Internet « I was born
to be President »29(*). D'où l'image d' « homme
pressé »30(*), profondément influencé par la culture
américaine qui lui est accolée moins d'un mois après
l'arrivée au pouvoir du Pds.
En résumé, Monsieur Idrissa Seck avait,
jusqu'à sa nomination comme Premier ministre en novembre 2003, un ethos
qui renvoyait à deux axes principaux. L'un, positif, faisait de lui le
fidèle poulain du Chef de l'Etat, qu'il n'a jamais trahi et qui a mis
son savoir-faire et son génie politique et intellectuel à la
disposition du Pds pour son accession au pouvoir. L'autre, renvoie à
l'homme pressé, imbu de sa personne, à la limite de la suffisance
et de l'arrogance, qui n'hésite pas à exclure ou à
marginaliser ses détracteurs et qui affiche un goût
immodéré du pouvoir. Toutes choses qui amèneront le
Premier ministre à relooker son image avant son passage devant les
députés de l'Assemblée nationale. Une tentative que nous
désignerons par la notion de pré-formatage de l'image de soi
2. LE PRÉ FORMATAGE DE
L'IMAGE DE SOI
Le Premier ministre nouvellement élu, sans doute
conscient de la perception pas des meilleures d'une partie de son ethos par
l'opinion publique sénégalaise, s'attellera, avant son passage
à l'hémicycle, à atténuer les aspects
négatifs de son image auprès de l'opinion publique31(*). Pour ce faire, deux actes
fondamentaux vont être posés. D'abord, il adopte une
démarche participative afin d'être « à
l'écoute des sénégalais ». Ensuite les
médias d'Etat, la Télévision notamment, seront mis
à contribution afin de lisser davantage l'image du Premier ministre
2.1 Une démarche participative
Dès après sa nomination, le Premier ministre
Idrissa Seck a voulu faire de sa Déclaration de politique
générale le condensé des préoccupations
légitimes de toutes les composantes de la Nation
sénégalaise. C'est ainsi qu'il a rencontré l'essentiel des
organisations socioprofessionnelles afin de les écouter dans la
perspective de l'élaboration de son discours programme.
Le fait de faire précéder sa rencontre avec les
élus du peuple, par l'écoute des différents segments
significatifs de la Nation, peut être constitutif d'une volonté
certaine de séduire. Une séduction dont le mode opératoire
et les cibles sont multiples.
2.1.1 Mode opératoire
Cette visite-écoute des différents segments de
la Nation relève de la démarche participative. Or, de plus en
plus, la démarche participative constitue un élément
méthodologique phare pour toutes actions de développement. Elle
demeure même indispensable pour la plupart des projets de
développement financés par les institutions internationales. Par
là, le Premier ministre fait montre d'un souci de méthode et
d'organisation, comme pour rappeler qu'il est consultant de profession. En
outre, cette démarche participative est pour accréditer l'image
d'un homme moderne, en phase avec les approches les plus novatrices de son
temps.
Par ailleurs, l'esprit de la démarche participative est
intimement lié au concept de démocratie. Car la
démocratie, qui postule la participation de tous, à la vie de
l'Etat, ne saurait être uniquement politique. Elle doit être
déclinée et mise en oeuvre dans tous les domaines, y compris
l'économie, la santé, l'éducation etc. Ce faisant, avant
de tracer les grands axes devant régir la politique du Gouvernement, le
fait d'écouter les différentes composantes de la Nation revient
à donner à ces dernières et à leurs
représentants, l`impression que le programme décliné
devant l'Assemblée Nationale est l'émanation de tous. Ce qui
permet d'en faciliter la réception, voire l'appropriation.
En inscrivant sa démarche au coeur d'une
préoccupation démocratique, le Premier ministre renvoie l'image
rassurante d'un homme ouvert, non suffisant, et soucieux de prendre en compte
les besoins de tous, laissant ainsi son image se refléter à
travers le miroir démocratique.
Ce qui n'est pas sans mettre les cibles de la séduction
dans une posture d'écoute favorable.
2.1.2 Les cibles
La démarche participative vise trois cibles
principales : le peuple, les députés de la majorité,
les députés de l'opposition et les partenaires de l'Etat. En
effet, bien que le Premier ministre s'adresse aux députés, il
faut préciser que son passage à l'Assemblée nationale, qui
fait des députés la composante principale de son auditoire, doit
être considéré comme un trope communicationnel. En effet,
il y a trope communicationnel:
(...) chaque fois que s'opère, sous la pression du
contexte, un renversement de la hiérarchie normal des
destinataires ; c'est-à-dire, chaque fois que le destinataire qui,
en vertu des indices d'allocution fait en principe figure de destinataire
direct, ne constitue en fait qu'un destinataire secondaire, cependant que le
véritable allocutaire, c'est en réalité celui qui a en
apparence statut de destinataire indirect. (Dragomirescu
1999 :88)
C'est ainsi qu'au-delà des députés, la
Déclaration de politique générale constitue une vitrine
pour le Premier ministre afin de présenter indirectement au Peuple mais
aussi aux partenaires, sa vision politique. Car c'est aux électeurs, qui
constituent, en définitive l'unique instance de validation des projets
politiques et éventuellement, aux partenaires institutionnels, que le
message est destiné, d'autant que le caractère partisan de
l'Assemblée nationale dominée par la coalition au pouvoir, ne
laissait présager aucune résistance fondamentale.
2.2 Un déblayage médiatique
La Déclaration de politique générale de
février 2003 survient dans un contexte marqué par un attrait
considérable pour les Nouvelles Technologies de l'Information et de la
Communication, une floraison de supports médiatiques, et un penchant
élevé du Premier ministre pour tout ce qui concerne les
médias et la communication.
C'est ainsi que la Déclaration de politique
générale sera élevée au rang de véritable
événement32(*). Car, à côté de la
Télévision Nationale, trois radios33(*) à forte audience ont
couvert l'événement avec des directs de plus de cinq heures de
temps précédés et suivis de reportages, d'analyses et de
débats.
C'est dire la dimension éminemment
événementielle conférée à la
Déclaration de politique générale. Et si
le propre de l'événement moderne est de se
dérouler sur une scène immédiatement publique, de
n'être jamais sans reporter-spectateur, ni spectateur-reporter,
d'être vu se faisant (...) d'où cette impression de fête que
la société se donne à elle-même à travers le
grand événement (Nora 1986 : 295),
il n'en demeure pas moins, qu'à cause de sa dimension
spectaculaire même, l'événement est d'abord une entreprise
de construction, de façonnage34(*) de l'actualité de la part des principaux
acteurs. Dans le cas de la Déclaration de politique
générale, ces acteurs sont essentiellement constitués par
le Premier Ministre, ses collaborateurs et la presse. Or, qui dit
construction, dit formatage et assignation d'un sens à
l'actualité, présentée et représentée.
C'est ainsi que la construction médiatique de la
Déclaration de politique générale du Premier ministre
Idrissa Seck en fera un véritable événement. Nous nous
intéresserons ici à la manière particulière dont
cet événement est construit, en amont, par les médias,
notamment la télévision.
2.2.1 Dispositif de mise en
scène télévisuelle
La Télévision Nationale a mis en place un
dispositif spécial pour couvrir la Déclaration de politique
générale. Ce dispositif repose essentiellement, avant le
démarrage réel de la Déclaration de politique
générale, sur la combinaison d'un système articulé
autour d'une dimension spatio-temporelle. En effet, la base de ce dispositif
est un studio, situé à la RTS, au sein duquel sont
installés des journalistes- présentateurs. Ces derniers ont la
charge d'organiser la mise en scène globale liée à l'avant
événement.
A partir de cet espace fixe qu'est le studio, nous assistons
à des déplacements spatio-temporels de l'information. Le studio
joue ici la fonction d'embrayeur spatio-temporel dans la mesure où c'est
à partir de là que s'opèrent les choix. C'est ainsi que la
couverture en directe est ponctuée par des incises spatiales et
temporelles.
Les incises spatiales sont principalement constituées
par les reportages, toujours en direct, de l'équipe présente
à l'Assemblée nationale. Celle-ci est chargée de la
présentation du lieu devant abriter le débat, de nous faire
découvrir l'ambiance qui y règne, et de nous montrer les
différentes évolutions (arrivée de personnalités,
animation etc.).
Cette séquence, qui s'inscrit dans l'ordre du direct,
se clôt temporairement, avec une reprise en main de la part du studio
qui procède alors à des commentaires, analyses, et diffusions
d'informations nouvelles.
Les incises temporelles sont constituées par une
série de reportages centrés sur l'événement, avec
un focus sur la personne du Premier ministre intitulée
« Pleins feux sur ».
Dès lors, le téléspectateur est tenu en
haleine jusqu'au moment ultime qu'est l'entame de la Déclaration de
politique générale. Une occupation du spectateur qui servira de
support à une entreprise de légitimation du Premier ministre.
2.2.2 Processus de
légitimation
Cette médiatisation exceptionnelle permet, non
seulement de tenir en haleine les téléspectateurs, mais va
au-delà, en ce qu'elle met en évidence, dans son format, autant
que dans son fond, un processus de légitimation du futur locuteur. Ce
processus de légitimation s'appuie sur des mécanismes de
polissage de l'image de marque du Premier ministre, et des mécanismes
de conditionnement de l'auditoire.
2.2.2.1 Mécanismes
de polissage
Le polissage de l'image du Premier ministre, par
l'intermédiaire de la télévision, peut s'analyser au moyen
du concept d'effet de cadrage. L'effet de cadrage présente, selon
Gerstlé, deux aspects :
D'une part, la construction médiatique de l'information
contribue à sa configuration publique (...) D'autre part, la
construction médiatique oriente l'imputation publique, l'attribution
causale du problème. (Gerstlé 1999 : 24)
Ainsi, le matraquage médiatique dont la
Déclaration de politique a fait l'objet, l'érige, non seulement
au rang d'événement, mais l'intensité dont elle a
bénéficié, des semaines avant son début, cache mal
le souci, pour les médias en général, ceux du service
public en particulier, d'en faire une source d'enjeux qui s'explique
difficilement. En effet, les conditions de sa banalisation ne manquaient
guère. C'était d`abord la troisième Déclaration de
politique générale d'un Premier ministre en moins de trois
ans.35(*) Ensuite, la
configuration de l'Assemblée nationale, fortement dominée par la
coalition d'origine du Premier ministre, ne laissait aucun doute sur
l'approbation de sa « feuille de route ».
La seule nouveauté, c'était celui qui allait
faire la déclaration, à savoir Idrissa Seck lui-même. En
témoigne le fait qu'aucune Déclaration de politique
générale avant, et même après la sienne, n'a
reçu un tel traitement de la part des médias.
En outre, il est à souligner que les reportages
à propos de l'événement sont davantage centrés sur
la personne du Premier ministre que sur les deux institutions
(l'Exécutif et le Législatif) auxquelles
l'événement est redevable. En effet, la page spéciale
d'avant événement est en majorité consacrée
à Monsieur Idrissa Seck intui personæ. Il en est ainsi
de la séquence portant sur son enfance, son parcours scolaire des plus
« brillants », des témoignages de ceux qui l'ont
connu avant etc.
En résumé, nous pouvons retenir,
premièrement, que l'effet de cadrage confère à la
Déclaration de politique générale un enjeu objectivement
peu justifié, et qu'il essaie de justifier, en la présentant
comme tel aux yeux de l'opinion publique. Deuxièmement, l'effet de
cadrage oriente « l'imputation publique »,
l' « attribution causale » de cet enjeu sur la
personne de Idrissa Seck. L'impression générale qui se
dégage, c'est le primat de l'acteur sur l'action ; la
prééminence de l'agent du rituel sur le rituel lui-même.
Toutes choses qui se confirment au vu du processus de légitimation dont
a bénéficié le Premier ministre tout au long de
l'émission spéciale.
2.2.2.2 Mécanismes
de conditionnement
Nous assistons, par le biais du discours
télévisuel, à une tentative de conditionnement du public
au profit du Premier ministre Idrissa Seck. Plusieurs séquences en
attestent.
D`abord, le passage consacré à l'enfance du
Premier ministre avec, notamment, les témoignages à son endroit
lors desquels on insiste sur son apprentissage coranique couronnée de
succès. Le choix des mots met l'accent sur la performance ainsi
accomplie. Car en lieu et place d'une « maîtrise du
coran », le journaliste parle de « sa parfaite
maîtrise des 6666 versets coraniques sans faillir ». Le
syntagme nominal « parfaite maîtrise »
s'avère une construction pléonastique. En outre,
l'antéposition de l'adjectif qualificatif
« parfaite » véhicule l'idée d'une
intelligence hors pair. Cette idée est renforcée par le souci de
la précision, avec le choix remarqué et remarquable de l'adjectif
numéral cardinal « 6666 ».
Dans une société laïque et pourtant
fortement encrée dans le religieux, cette séquence est un clin
d'oeil lancé aux sénégalais qui sont majoritairement
musulmans. Elle pose les jalons d'un contrat moral entre un Premier ministre au
fait de la morale religieuse et un peuple majoritairement croyant.
Une deuxième séquence viendra compléter
ce tableau. Elle tente de mettre l'accent sur l'équilibre de l'homme
qui, certes, peut compter sur ses connaissances religieuses pour s'astreindre
à une gestion orthodoxe juste et équitable des affaires de la
Cité, mais saura surtout s'appuyer sur son savoir et son savoir-faire
d`éternel premier de la classe. Pour ce faire, rien de tel que
d'interviewer ses anciens professeurs, à l'image d'un responsable du
Collège Saint Gabriel, où le Premier ministre à fait une
partie de son cursus scolaire, qui dira : « il tenait toujours
à être le 1er de sa classe ». Cette phrase
est en elle-même remplie de sens. Elle renseigne sur l'intelligence du
concerné, mais met surtout l'accent sur sa volonté, pour ne pas
dire sa soif, de leadership. Et comme si le discours à lui seul ne
suffisait pas, on fait appel à la preuve, en exhibant le registre
scolaire dans lequel sont consignées les notes de
l'élève.
Ainsi se profile, déjà, quelques uns des
éléments structurants sur lesquels va jouer le Premier
ministre : le savoir et la vertu. Or ces deux composantes ne sont-elles
pas les attributs principaux du philosophe-roi ?
Un troisième axe sera exploré, celui des hauts
faits d'armes du premier ministre que le commentateur rappellera en partant de
son statut de « jeune directeur de campagne » en 1988
à celle d' « éminence grise du
PDS ».
Mais le travail de légitimation ne se résume
pas uniquement à la mise en valeur des côtés
« positifs » du concerné. Il est aussi
déconstruction et réfutation des représentations
négatives dont souffrirait l'image du Premier ministre et dont la plus
récurrente est celle d'un homme suffisant, trop imbu de sa personne.
Pour détruire cette image, un des reporters rappellera la
démarche participative du Premier ministre qui a pris le soin de
rencontrer l'ensemble des composantes de la société. Une
façon de démontrer son ouverture d`esprit, son sens de
l'écoute et sa disponibilité.
Cette nécessité d'être à
l'écoute du peuple est légitimée par le reportage, sous
forme de micro-trottoir, par lequel la parole est donnée aux citoyens
par la télévision, afin qu'ils expriment leurs besoins.
Une quatrième séquence, plus intime, se
déroule au domicile même du Premier ministre. Le
téléspectateur peut ainsi avoir une idée de la maison, de
son goût etc. Le reporter décide d'interviewer un jeune
garçon, fils du Premier ministre. Au journaliste lui demandant s'il
savait ce à quoi va se livrer son père, il répond :
« oui, il va prononcer son discours à l'Assemblée
Nationale ; je l'ai félicité et
encouragé ».
Cette immixtion dans le cercle intime du Premier ministre met
à nu l'effacement des frontières entre sphère publique et
sphère privée. Elle participe d'une volonté manifeste
d`actionner la fibre familiale, donc sentimentale, par l'intermédiaire
d'un fils proche et complice de son père.
Un autre axe de légitimation est celui tendant
à justifier la place de choix occupée par le Premier ministre
auprès du Chef de l'Etat. Les commentaires des journalistes à
ce propos sont fort évocateurs : « un Premier ministre en
phase avec le Chef de l'Etat » ; « un chef d'orchestre
d'une musique dirigée par le Chef de l'Etat » etc.
Le processus de légitimation de la part de la
télévision va s'accompagner d'une mise en scène de
l'événement à travers le choix dans le cadrage, la
sélection de certaines séquences particulières au
détriment d'autres. L'entrée du Premier ministre offre un
aperçu pertinent de cette mise en scène
télévisuelle. Ainsi, peu avant le début de la
déclaration, la télévision nous a fait vivre
l'entrée en scène du Chef du Gouvernement. Les images de la
télévision insistent particulièrement sur l'animation
folklorique, les chants et cris à la gloire du Premier ministre de la
part de militants présents, pour certains, depuis la veille. L'accent
est mis sur les pancartes portant des slogans favorables au parti au pouvoir et
au Premier ministre. De même, les images s'attardent sur le port
vestimentaire des militants présents. Certains d'entre eux portent des
tee-shirts à l'effigie du Premier ministre Idrissa Seck et aux couleurs
du PDS (le bleu et le jaune), couleurs que l'on retrouve, en partie, dans le
port vestimentaire du Premier ministre. En effet, il est habillé d'un
costume sombre à cheval entre le noir et le bleu de nuit, qui n'est pas
sans faire penser à la couleur principale du Pds, le bleu. Ainsi,
l'impression d'une fusion totale entre les trois entités que sont le
Premier ministre, le parti et les militants est donnée. Cette impression
de fusion est renforcée par l'image, en gros plan, du Premier ministre
sacrifiant au rituel consistant à saluer les militants en levant de
temps à autres les bras et en leur gratifiant d'un sourire en signe de
satisfaction et de sérénité. A cela, répond
simultanément l'image d'une foule aux anges. La restitution de cette
entrée « fracassante » de Idrissa Seck est en phase
avec l'événement qui consacre, d'une part, le triomphe du Parti
démocratique sénégalais, par la présence de ses
responsables à toutes les stations de pouvoir, et d'autre part
l'ascension d'un homme présenté comme providentiel.
L'entrée en scène est capitale dans une
entreprise de séduction. Elle permet à l'acteur politique de
donner la première impression à son auditoire. C'est pourquoi
tout est mis à contribution : sourires, bras levés,
remerciements, démarche etc. En outre, c'est tout le sens de la
mobilisation des militants dont le rôle est de « chauffer la
salle », d'encourager leur leader, d`intimider éventuellement
ses détracteurs et d'influencer l'opinion publique.
Toutes choses qui confirment l'affirmation selon
laquelle :
La matière première d'une information
......n'est jamais, malgré une idée reçue, une
réalité quelconque, mais des mots, toujours, une matière
langagière, des représentations que les acteurs sociaux ont
préalablement élaborées, ce qui permet de voir dans
l'information le miroir, la scène ou l'écran (selon les variables
des chercheurs) où s'élabore le sens, négocié sans
cesse par lesdits agents sociaux. (Tétu 1993 : 715)
CHAPITRE 4 : L'ETHOS
DISCURSIF OU IMAGE DE SOI
Dans le chapitre précédent, nous avons
analysé quelques éléments de l'ethos prédiscursif.
Dans le présent chapitre, nous nous efforcerons d'étudier l'ethos
discursif ou l'image de soi, telle qu'elle se développe à travers
la Déclaration de politique générale du Premier ministre
Idrissa Seck. La pluralité des conceptions de l'ethos et les confusions
qui peuvent en découler, nécessitent, d'une part, que nous
fassions un rappel historique de la notion d'ethos. D'autre part, nous
préciserons la conception de l'ethos que nous partageons et qui nous
sert ici d'outil d'analyse.
La notion d'ethos est, à la fois, très ancienne
et très complexe. Elle a été mise en valeur par Aristote
dans sa Rhétorique. Dans le système rhétorique
d'Aristote, l'ethos constitue, avec le logos et le pathos, le triptyque autour
duquel s'appuie et se déploie la persuasion. L'ethos renvoie à
l'image du locuteur ; le logos représente l'appel à la
raison par le moyen d'arguments rationnels ; tandis que le pathos
réfère aux procédés rhétoriques qui ont pour
objectif de toucher les passions de l'auditoire. Il s'agit là, comme
l'a si bien compris Jean Michel Adam, de « trois pôles plus
complémentaires que concurrents de tout mouvement argumentatif
(...) ». Ainsi que le suggère le schéma (Adam
1999 : 102) suivant :
LOGOS
ETHOS
PATHOS
ARGU-
MENTATION
L'ethos est décrit par Aristote dans la
Rhétorique (II, 1378a 6), comme étant ce par quoi les
orateurs inspirent confiance. Ekkehard Eggs traduit ce passage de la
manière suivante :
Les orateurs inspirent confiance (a) si leurs arguments et
leurs conseils sont compétents et raisonnables, (b) s'ils argumentent
honnêtement et sincèrement, et (c) s'ils sont solidaires et
aimables envers leurs auditeurs. (Eggs 1999 : 35-36)
Ces trois éléments constitutifs de l'ethos
qu'Aristote nomme phronésis (pensée, raison,
intelligence), arèté (honneur, vertu, courage) et
eunoia (bienveillance, complicité, sympathie), Roland Barthes
les a résumés de fort belle
manière : « Pendant qu'il parle et déroule le
protocole des preuves logiques, l'orateur doit également dire sans
cesse: suivez-moi (phronésis), estimez-moi (arèté) et
aimez-moi (eunoia) » (Barthes 1985 : 125-126). Ce sont ces trois
qualités de l'énonciateur ou du locuteur qui sous-tendent et
bâtissent l'image que ses auditeurs ou co-énonciataires se font de
lui. Cette image de soi a été, bien des fois, confondue avec
l'image réelle du locuteur36(*). Il s'agit plutôt de l'image de soi telle
qu'elle se constitue par et à travers le discours. En effet, nous
convenons, avec Dominique Maingueneau, que « l'ethos se
déploie sur le registre du « montré » et
éventuellement, sur celui du « dit » ». Et
que son efficacité est à chercher dans le fait « qu'il
enveloppe en quelque sorte l'énoncé sans être
explicité dans l'énonciation » (Maingueneau 1999 :
77). Dans cette même lancée, Ruth Amossy soutiendra qu'
« (...) il n`est pas nécessaire que le locuteur trace son
portrait, détaille ses qualités, ni même qu'il parle
explicitement de lui. » En effet, poursuit Amossy, son
« style, ses compétences langagières et
encyclopédiques, ses croyances implicites suffisent à donner une
représentation de sa personne » (Amossy 1999 : 9).
De manière plus nette, Oswald Ducrot
précise :
Il ne s'agit pas des affirmations flatteuses que l'orateur
peut faire sur sa propre personne dans le contenu de son discours, affirmation
qui risque au contraire de heurter l'auditoire, mais de l'apparence que lui
confèrent le débit, l'intonation, chaleureuse ou
sévère, le choix des mots, des arguments... (Ducrot 1984 :
201)
Cet éclairage historique et
conceptuel de la notion d'ethos, nous permet de préciser l'orientation
méthodologique de notre recherche. Il ne s'agit pas pour nous, ici, de
dire, comment est le Premier ministre. Nous nous proposons simplement de voir
quelle image de lui reflète son discours à l'occasion de la
Déclaration de politique générale.
1. LA
« PHRONESIS »
Aristote (Rhétorique I, 1366 a 20) considère que
la phronésis (raison pratique) est une bonne disposition
intellectuelle qui rend capable de bien délibérer sur les biens
et les maux [...] en vue du bonheur. Cette bonne disposition
pratique renvoie au bon sens de la démarche et donc de sa
cohérence et de sa pertinence. Nous étudierons donc la
phronésis sous l'angle de la méthode et de la
démarche adoptée par le Premier ministre Idrissa Seck.
Dans sa Déclaration de politique
générale, le Premier ministre fait preuve d'un esprit de
méthode, autant dans la manière de gérer les affaires de
la Cité, que dans la manière de décliner son programme.
Nous avons donc là une double méthode aussi bien dans les propos
que dans les actions.
La méthode dans les propos renvoie à
l'organisation et à la clarté du discours. C'est une
méthode à la fois classique et novatrice qui permet à
l'auditoire de bien s'imprégner du discours qu'on lui sert.
La méthode est classique en ce sens que la
Déclaration de politique générale obéit aux grands
principes rhétoriques. En effet, elle comporte une introduction ou
exorde, un développement et une conclusion.
Dans l'exorde, le Premier ministre justifie d'abord son
face-à-face avec les députés :
Le Peuple, souverain dans ses décisions, vous a
assigné la mission d'être le médium honoré par
lequel je lui présente humblement, aujourd'hui, ma feuille de route
devant conduire à la prise en charge efficace de ses attentes, donnant
ainsi corps à la politique de la nation définie par le
président de la République. (Seck 2003 : 5)
Dès lors, le Premier ministre fait de la
Déclaration de politique générale, un des temps forts de
la démocratie, en ce sens qu'elle est le moment d'une rencontre avec le
Peuple dont il est le serviteur. Mais à la suite de cette
évocation générale, le Premier ministre contextualise sa
Déclaration de politique générale. Pour ce faire, il
l'inscrit comme la suite logique des actions qu'il a toujours menées au
profit du peuple sénégalais. C'est donc une « nouvelle
mission » (Seck 2003 : 5) qui vient à la suite d'une
mission précédente consistant à faire accéder son
parti au pouvoir.
Une nouvelle mission d'autant plus difficile qu'elle
intervient à la suite de « récentes
épreuves » (op.cit. : 5) dont la plus actuelle est
constituée par le naufrage du bateau le Joola. Le Premier
ministre prend le soin de procéder à une présentation
élogieuse du bilan, à mi-parcours, de l'Alternance, avant
d'aborder la question du naufrage du bateau le Joola. Cet élan
de bonheur des débuts de l'Alternance, momentanément interrompu
par le drame du naufrage, permet au Premier ministre de donner à son
discours-programme les contours d'une reprise en main de la situation difficile
qu'il a trouvé sur place : « Au-delà des
épreuves, Il nous faudra être forts pour reprendre notre
marche » (Seck 2003 : 5).
A la suite de l'exorde, le Premier ministre décline son
programme. Une déclinaison qui sera axée autour de dix principaux
points : le « monde rural » (Seck 2003 : 10-14),
l' « éducation » (Seck 2003 : 14-16), la
« santé » (Seck 2003 : 16-17),
l' « emploi » (Seck 2003 : 17-19),
l' « électricité » (Seck 2003 :
21-22), les « jeunes » (Seck 2003 : 22-23), les femmes
(Seck 2003 : 23), les « anciens » (Seck 2003 :
23-24) , la « sécurité » (Seck 2003 :
24-26) et la « décentralisation » (Seck 2003 :
27).
Le Premier ministre clôt son discours par un pari sur
l'homme qui nécessite une plus grande responsabilité individuelle
et collective.
En plus de son côté classique, la
Déclaration de politique générale innove à plus
d'un titre. En effet, le Premier ministre refuse de se conformer à la
tradition :
A la place des traditionnelles formules qui nous donnent des
taux et des indices, j'aurai recours à des oeuvres d'art comme paradigme
de présentation du programme de mon Gouvernement. (Seck 2003 :
9)
Cette préférence pour l'image, au
détriment des chiffres, pourrait renvoyer à une volonté
de se rapprocher de son auditoire, par la dimension affective et symbolique de
l'image, opposée au caractère souvent abstrait des chiffres.
D'où le recours à un support visuel à l'aide d'images et
de cartes projetées sur des écrans placés aux quatre coins
de l'hémicycle. De la sorte, le Premier ministre confère à
sa Déclaration une dimension didactique et pédagogique. Ce souci
didactique et pédagogique s'appuyant sur le symbole de l'image prend
davantage corps avec l'utilisation de deux personnages allégoriques
tirés du milieu artistique et social sénégalais,
Goor et Ndioublang, qui symbolisent, le premier, l'axe du
bien, le second, l'axe du mal.
2.
L' « ARETÉ » OU L'IMAGE DE L'HOMME VERTUEUX
Nous étudierons la manifestation de
l'areté dans la Déclaration de politique
générale du Premier ministre Idrissa Seck à l'aune de
l'une de ses principales significations : la vertu. Il s'agira de voir
comment, à partir de l'énoncé, se profile l'image d'un
homme vertueux. Le caractère vertueux du locuteur prend appui sur le
discours lui-même, à travers le choix des mots, des assertions et
socles de l'argumentation. Mais le caractère vertueux ne se limite pas
seulement aux mots et arguments. Il intègre aussi leur mode de
déclinaison à savoir, la posture du corps, le débit,
l'intonation et la gestuelle.
Par image de soi, comme précisé plus haut, nous
entendons moins l'image réelle du locuteur que celle qui
transparaît dans et pendant son discours. En outre, il ne s 'agit pas des
passages où le locuteur se définirait directement, mais
plutôt de l'impression qu'il dégage à partir de ses prises
de positions, pratiques et attitudes lors de son discours. Ainsi, il s'agit de
voir en quoi le contenu discursif et son mode de déclinaison projettent
une image vertueuse du locuteur. C'est donc une vertu projetée en
direction de l'auditoire. Dans sa Déclaration de politique
générale, un certain nombre de représentations, d'actions
et d'affirmations participent à conférer au Premier ministre une
image vertueuse à travers une tentative d'incarnation et d'affichage de
valeurs supposées relever de la vertu comme la foi, le sens de la
justice, l'humilité et la sincérité, entre autres.
2.1 L'homme de foi
Dans sa Déclaration de politique
générale, le Premier ministre projette l'ethos d'un homme de foi,
profondément croyant. L'image de l'homme de foi apparaît
dès la deuxième phrase de son discours : « Monsieur le
Président de l'Assemblée nationale, Honorables
députés, notre Constitution, dès son article premier,
invite le peuple à marcher vers son But, et avec Foi » (Seck
2003 : 5). Cet ethos de l'homme de foi est d'autant plus important que son
auditoire, à savoir le peuple sénégalais, est
composé, à plus de 95 %, de croyants, musulmans et
chrétiens confondus. Une réalité dont semble pleinement
conscient le Premier ministre Idrissa Seck. En effet, en rappelant, en
dépit de la nature laïque du régime politique
sénégalais, la présence du terme
« foi » dans la loi fondamentale du Sénégal,
il justifie, de la sorte, l'importance éventuelle de la foi dans son
discours et dans ses actes. Mieux, le texte constitutionnel, qui lui sert de
moyen de légitimation, sera, supplée au fur et à mesure
que le discours se déploie, par un autre texte, religieux cette fois-ci,
le Coran. C'est ainsi qu'à plusieurs reprises, le Premier ministre
invoque le texte de base de la religion musulmane pour étayer ou
légitimer ses propos. Il en est ainsi lorsqu'il fait appelle à
l'ensemble des membres de la société pour le développement
du Sénégal:
(...) la sagesse nous enseigne que la réalisation des
grands desseins requiert la mobilisation de toutes les forces, au-delà
de celles qui détiennent le commandement; et l'Ecriture nous le rappelle
en ces termes : «Tu t'épuiseras toi-même, et tu
épuiseras ce peuple qui est avec toi; car la chose est au-dessus de tes
seules forces, tu ne pourras pas y suffire seul. (Seck 2003 : 8)
L'invocation de versets coraniques ne sert pas seulement
d'ornements ou de citations simplement plaquées. Le Premier ministre
apparaît comme un individu qui voudrait que la foi et les enseignements
de Dieu soient la base de toutes ses actions comme il le soutient d'ailleurs de
manière très évidente :
C'est donc pour me conformer à cette invite divine que
j'en appellerai à un partage juste, équilibré, et
pertinent des charges liées à notre mission gouvernementale.
(Seck 2003 : 8)
Le Premier ministre semble tellement convaincu de l'importance
de la foi qu'il ne se contente pas d'en faire le fil conducteur de ses actions
et propos. Il va jusqu'à postuler un comportement collectif conforme aux
enseignements divins qui serait la condition sine quoi none du
développement du pays:
C'est donc pour le bien de ce Sénégal nouveau
que je souhaite, Monsieur le Président, Honorables
Députés, méditer avec vous et le Peuple
Sénégalais cette parole : «Je ne modifie pas l'état
d'un peuple sans que celui-ci ne change ce qui est en lui-même37(*). (Seck 2003 :
28)
La foi du Premier ministre transparaît aussi à
travers les remerciements et les demandes d'aide adressés à Dieu
pour le succès obtenu ou escompté. Ce faisant, il renvoie
l'image d'un homme croyant conscient que sa seule compétence ne saurait
lui garantir la réussite dans les actions entreprises. Une
réussite qui est totalement dépendante de la volonté
divine :
Je convoite de Dieu une victoire éclatante dans cette
nouvelle mission, à l'image de celle dont il m'a gratifié lors de
la première. (Seck 2003 : 5)
Par cette attitude, le Premier ministre se conforme à
l'adage qui voudrait que « l'homme propose et Dieu
dispose ». Car le croyant considère que la vraie puissance est
divine. Par conséquent, la volonté de puissance, chez l'homme,
n'est rien d'autre qu'une intention de puissance qui devrait être
validée ou invalidée par Dieu. C'est d'ailleurs tout le sens de
la dernière phrase de la Déclaration de politique
générale du Premier ministre :
Enfin, j'accompagnerai, par mon intention, dans la nuit et la
solitude de sa proximité avec Dieu, l'homme pur qui prie pour un
Sénégal de paix, de réussite et de
prospérité. (Seck 2003 : 28)
La Déclaration de politique générale est,
par essence, pragmatique et performatif car censée faire le bilan des
actions entreprises et esquisser les réalisations à venir. En la
clôturant par « l'intention d'une
intention »38(*), le Premier ministre réaffirme, de la sorte,
son ancrage au coeur de la foi et de la religion. Une foi et une religion qui
font que l'homme, même investi de pouvoirs, s'en remet à une
instance suprême : Dieu. Et c'est tout le sens de la place
accordée, à la fin, à la prière et à ce qui
conditionne sa pratique, à savoir la pureté39(*).
La foi se révèle, en définitive, comme le
socle de l'ethos du Premier ministre Idrissa Seck. Un socle qui exige, pour
être valide, l'observation de certaines règles et l'adoption de
certaines attitudes qui, sans elles, risquent de rendre caduque cette foi
affichée. Parmi ces règles et attitudes, nous avons, entre
autres, la justice et l'humilité.
2.2 Le juste
L'image de l'homme juste transparaît à maintes
reprises dans la Déclaration de politique générale du
Premier ministre Idrissa Seck. Une justice qui prend des contours à la
fois économiques et sociaux.
Le symbole de la justice est la balance, qui
réfère à l'équilibre et à
l'équité. Deux préoccupations fortement
représentées dans le discours du Premier ministre. Le sens de
l'équilibre apparaît à travers le partage
prôné des responsabilités entre les détenteurs du
« commandement » (Seck 2003 : 8) et les autres franges
de la société. Cet équilibre décisionnel reprend
l'impératif d'une gestion concertée telle
qu'édictée en démocratie et auquel le Premier ministre
veut se conformer:
(...) j'en appellerai à un partage juste,
équilibré, et pertinent des charges liées à notre
mission gouvernementale. Il faudra une mobilisation de tous les segments de
notre société pour accroître nos chances de succès.
(Seck 2003 : 8)
L'équilibre se transforme rapidement en
équité. Une équité sociale qui commande aux
décideurs de veiller aux intérêts de tous, en garantissant
les droits de chacun tout en protégeant les plus faibles :
Il (le programme du Gouvernement) vise à offrir
à l'adulte le cadre optimal d'éclosion de ses talents, et
à organiser pour l'Ancien, une vieillesse honorable, au moyen d'un
système viable de retraite. (Seck 2003 : 9)
La justice dépasse le cadre de l'équité
sociale pour englober la solidarité qui recommande, non seulement la
protection des plus faibles, mais aussi le secours et l'assistance aux
démunis. C'est pourquoi le programme du Gouvernement « vise aussi,
le cas échéant, à prêter à tous, la chaude
couverture de notre solidarité nationale » (op.cit. : 9).
Mais la justice n'est pas uniquement d'ordre
économique. Elle emprunte aussi les contours de la coercition par la
répression et la sanction des fautifs. D'où la multiplication
d'actes menaçants dans son discours comme manifestation d'une rigueur
sans failles dans sa quête de justice. Une mise en oeuvre de la justice
qui arbore les allures d'une dualité entre le Bien et le Mal par
laquelle sont encouragés les auteurs de bonnes actions tandis que ceux
coupables de pratiques interdites seront punis :
Au-delà du rire que déclenche cette
évocation, chacun d'entre nous devra choisir en toute
responsabilité son identité, car je suis décidé
à aider Goor et à combattre Ndioublang. (Seck
2003 : 10)
Dans cette croisade contre le mal, l'équité se
veut pleine et entière. C'est ainsi que le Premier ministre s'engage
à mettre tout le monde sur le même pied d'égalité
par rapport à la justice. Car, soutient-il, « que
Ndioublang soit un grand dignitaire de l'Etat ou un revendeur de
cassette piratée, il sera combattu ». De même, à
propos des audits40(*), il
s'engage à faire de telle sorte qu'ils se déroulent dans des
conditions qui ne souffrent d'aucune manipulation :
Je tiens, cependant, à dire solennellement, sans
être en mesure de révéler des secrets d'instruction, que
l'appartenance politique n'a soustrait et ne soustraira personne aux rigueurs
de la Loi. (op.cit. : 10)
Conscient que la justesse des décisions, à elle
seule, ne saurait les rendre opérationnelles, le Premier ministre
affiche sa ferme volonté de mettre en oeuvre un certain nombre de
pratiques qui permettent à la justice d'être effective.
D'où l'invocation des notions de « transparence »,
de « responsabilité » et de « bonne
gouvernance » (op.cit. : 10), qui requièrent
l'application de mesures hardies à l'image de la «politique active
de lutte contre la corruption ». Une volonté de lutter contre
la corruption qui ne se limite pas à une profession de foi mais qui se
donne les moyens de son opérationnalité :
Pour cela, j'attache la plus grande importance à une
mise en oeuvre rigoureuse du nouveau code des marchés publics. Ce code
prévoit que le principe en matière de marché est l'appel
d'offre, c'est-à-dire la transparence et l'égalité des
chances de tous les candidats. J'entends faire en sorte que désormais la
plus grande part des marchés publics soit passée sur ces bases.
Les marchés de gré à gré doivent devenir
l'exception limitée aux seuls cas visés dans le code. Il est en
outre prévu, dans les prochaines semaines, l'adoption d'un texte
réglementaire instituant un Conseil de la bonne gouvernance et de lutte
contre la corruption. (Seck 2003 : 10)
Le symbole de la balance, qui réfère à la
justice, se manifeste aussi à travers la distribution même de la
justice. Celle-ci se voulant en amont et en aval de la société.
C'est ainsi que nous avons la manifestation de la justice comme moyen
d'atténuation d'un drame, comme c'est le cas par rapport à la
gestion de la tragédie liée au naufrage du bateau le
Joola :
La nature et la complexité de la tâche nous
imposent vigilance et rigueur afin qu'aucune injustice ne vienne alourdir la
charge émotionnelle de cette douloureuse tragédie collective.
(Seck 2003 : 6)
De même, nous avons une idée de la justice comme
mode de définition de la bonne voie, à travers une approche
moralisatrice et éducative :
Le meilleur outil de lutte contre la pauvreté demeure
l'accès à un revenu décent. Je ne connais que trois voies
d'accès, au revenu : une qui anoblit: le travail, une qui assujettit :
l'aide, une qui avilit: le vol. (Seck 2003 : 18)
Dans la Déclaration de politique
générale, l'ethos d'homme juste, affiché par le Premier
ministre, s'étoffe par le fait que les éléments
abordés sous l'angle de la justice portent sur des questions de principe
qui sont naturellement source de consensus, difficilement contestables au
risque de se faire marginaliser, voire discréditer, pour celui qui le
tenterait. L'ethos de l'homme juste est d'autant plus acceptable que celui qui
s'érige en justicier refuse de passer pour un être autoritaire,
qui abuserait de ses pouvoirs. C'est ainsi que se déploie, à
travers le discours, l'image d'un individu modeste et humble qui ne se laisse
pas emporter par les volutes du pouvoir.
2.3 L'homme humble
Le sens de l'humilité de la part du Premier ministre
s'incarne à travers deux axes : la reconnaissance du mérite
d'autrui et ce qu'on pourrait appeler le profil bas du locuteur.
Le Premier ministre, dans son discours, s'efforce de
reconnaître et d'accepter le mérite des autres. Cette
reconnaissance du mérite de l'autre est conforme à l'ethos
d'homme de foi vertueux et juste qu'elle prolonge et amplifie.
Reconnaître le mérite intrinsèque de l'autre, ou accepter
qu'autrui a joué, joue ou jouera un rôle important dans notre
propre succès, c'est, dans une certaine mesure, amoindrir notre
mérite personnel. C'est ainsi que le Premier ministre remercie Dieu de
l'avoir aidé à réussir ses missions. Mieux, il invoque son
secours pour garantir le succès de ses différentes
actions :
Je convoite de Dieu une victoire éclatante dans cette
nouvelle mission, à l'image de celle dont il m'a gratifié lors de
la première. (Seck 2003 : 5)
En demandant le soutien de Dieu, pour la réussite dans
les actions républicaines, donc laïques par essence, qu'il
entreprend, le Premier ministre prend le risque d'afficher l'image d'un homme
fataliste et irrationnel qui ne serait pas sûr de la pertinence de sa
démarche. Toutefois, la dimension prépondérante du fait
religieux dans la société sénégalaise transforme
cette éventuelle interprétation négative pour en favoriser
une lecture positive. En effet, le caractère laïc de la
République du Sénégal cache mal la vigueur du fait
religieux et des croyances qui vont avec, notamment la nécessité
de la bénédiction divine pour le bon accomplissement de toute
action.
Après avoir reconnu et sollicité l'implication
divine pour la réussite des ses actions, le Premier ministre en fait de
même pour d'autres, à commencer par l'institution qui
reçoit sa Déclaration de politique générale,
l'Assemblée nationale, à qui il reconnaît tout son
mérite et son honorabilité :
Le Peuple, souverain dans ses décisions, vous a
assigné la mission d'être le médium honoré par
lequel je lui présente humblement, aujourd'hui, ma feuille de route.
(Seck 2003 : 5)
Mais ce respect pour l'institution parlementaire manifeste
d'autant plus un sens de l'humilité de la part du chef du gouvernement,
qu'il découle d'une volonté de soumission totale du Premier
ministre à la souveraineté du Peuple, vrai détenteur du
pouvoir, que les parlementaires sont censés représenter :
C'est par respect et considération pour votre auguste
Assemblée, et au-delà pour le peuple qu'elle représente
que j'ai décidé, tout au long de mon ministère, de revenir
ici, personnellement, à la tête de mon Gouvernement, au rythme
qu'il vous plaira de fixer (...) (Seck 2003 : 10)
De même, ses concitoyens sénégalais,
toutes catégories confondues, bénéficient de sa
reconnaissance. C'est le cas pour les enseignants dont il reconnaît
le mérite par rapport à la nation, en générale, et
par rapport à lui-même, en particulier:
Etant comme beaucoup d'autres le produit d'enseignants qui,
aujourd'hui encore, demeurent mes maîtres en ce que je continue de
m'inspirer de leurs leçons, je suis particulièrement sensible au
sort de ceux qui ont entre leurs mains l'avenir de millions de
Sénégalais. (Seck 2003 : 24)
Au-delà de la simple reconnaissance du mérite
d'autrui dans le succès de ses actions, le sens de l'humilité
justifie l'appel à l'aide que le Premier ministre adresse à ses
concitoyens, car il est conscient qu' « il faudra une
mobilisation de tous les segments de notre société pour
accroître nos chances de succès ». Aussi, même le
commun des sénégalais, représenté symboliquement
par le personnage « Goorgoorlu », est-il
sollicité :
Goorgoorlu pourra m'aider dans la vulgarisation de cette
nouvelle politique, et dire à son oncle paysan qu'il est difficile de
travailler sur trois mois pour espérer avoir des revenus sur douze.
(Seck 2003 : 13)
L'humilité, c'est aussi l'ouverture à
autrui ; l'échange instructif avec les autres pour une plus grande
réussite. D'où le souci du Premier ministre de prolonger sa
démarche participative, initiée avant sa Déclaration de
politique générale, en se mettant à la disposition des
autres démembrements de la société car sa
« porte leur sera (...) toujours ouverte » avec, au
programme, des rencontres pour « débattre, apprendre et
informer » (Seck 2003 : 8).
Mais l'humilité n'est pas uniquement d'ordre verbal.
Elle est aussi para verbal et non verbal. Sur le plan para verbal, la
Déclaration de politique générale s'est faite sur un ton
calme, posé, avec un débit lent dans l'ensemble.
Sur le plan non verbal, le souci de paraître humble est
pris en charge par la posture du Premier ministre. En effet, tout au long de
son discours, le Chef du Gouvernement a gardé une posture marquant
l'humilité. C'est le dos légèrement courbé, les
mains adossées à la table, devant lui, qu'il a prononcé
son discours. Comme s'il voulait « discipliner » sa
gestuelle. Celle-ci, quasi-minimaliste, se contentant d'accompagner les
vocatifs, adresses et interpellations de son auditoire par des regards
distribués tantôt à sa gauche, tantôt à sa
droite.
De même, un souci d'humilité peut être lu
à travers la place choisie par le Premier ministre pour faire face
à son auditoire et prononcer sa Déclaration de politique
générale. En effet, il a choisi de demeurer à la place
réservée aux membres du Gouvernement alors que la tradition veut
que le Chef du Gouvernement se déplace jusqu'à la tribune faisant
face à la majorité des députés. Cette position
aurait d'ailleurs été plus propice, non seulement aux
échanges avec les élus du Peuple, mais aussi avec le Peuple
lui-même. En effet, cette position aurait permis une plus grande
visibilité du locuteur dans la mesure où le parloir est mis en
valeur par son léger retrait du reste de l'hémicycle, son
caractère central et sa position surélevée par rapport au
reste de l'hémicycle. Toutes choses qui auraient, en outre,
favorisé les prises de vue des preneurs de vue de la
télévision nationale, et amélioré ainsi l'image
reçue par les téléspectateurs. En déclinant la
position haute du parloir, le Chef du Gouvernement adopte, de la sorte, une
posture basse41(*), en
signe de modestie et de simplicité. Une simplicité et une
modernité relayées par le sentiment de sincérité
véhiculé.
2.4 L'homme sincère
L'ethos de la sincérité se déploie dans
le discours de politique générale du Premier ministre à
travers un diagnostic sans complaisance de la réalité, et la
formulation de mesures, pas toujours populaires, mais susceptibles
d'améliorer la situation. Ainsi, dans le domaine de la
répartition budgétaire, le Premier ministre exprime, sans
détours, son insatisfaction par rapport à la manière dont
l'importante somme allouée à l'éducation est
dépensée, sans pour autant donner des résultats
probants :
Le moment est peut-être venu
de se pencher sérieusement sur la façon de dépenser cet
argent en relation avec les objectifs poursuivis car, pour l'heure, le
rendement de l'investissement consenti par la Nation est très en
deçà des résultats observés. (Seck 2003 :
15)
Ce faisant, le Premier ministre est conscient qu'il s'en prend
à un secteur des plus sensibles. En effet, l'Education est le secteur
d'où partent la plupart des mouvements sociaux. Par conséquent,
remettre en cause le budget qui lui est allouée ou contester la
pertinence de ses résultats ne manquerait pas de déplaire
à ses membres qui sont, en même temps, très bien
représentés au sein de l'Assemblée nationale42(*).
Mais cette sincérité fonctionne moins comme un
reproche, qu'une interpellation des différentes composantes de la
société, afin de créer les conditions d'une remise en
cause et d'un sursaut, à mêmes de conduire le pays dans la voie du
développement durable. La sincérité, ici, est d'abord
d'ordre délibératif et non judiciaire. Elle n'est point mise au
service d'un réquisitoire contre certaines composantes de la
société. Elle permet, au contraire, sur la base d'un diagnostic,
d'amorcer le dialogue pour définir, ensemble, la voie la meilleure pour
la Nation. Cette dimension purement utilitaire, et non polémiste de la
sincérité, est rendue par le choix des pronoms personnels dans
l'expression de cette sincérité. En effet, dans la plupart des
passages où la sincérité se déploie à
travers un diagnostic non complaisant, c'est le nous inclusif qui est
utilisé comme c'est le cas pour la question de la mobilité
urbaine :
La résolution du problème de la mobilité
urbaine implique des sacrifices que nous devons accepter. Il s'agit notamment
des expropriations à faire pour l'agrandissement de routes, avec, bien
entendu, l'indemnisation des expropriés, conformément aux lois et
règlements en vigueur. (Seck 2003 : 21)
Il en est de même lorsque le Premier ministre
décrit les difficultés auxquelles est confronté le tissu
industriel sénégalais et les mesures idoines à
prendre :
Nous devons être prêts, dans les meilleurs
délais, à affronter une rude compétition sur nos
marchés, national, sous-régional et international. Pour assurer
à nos entreprises les outils de leur participation à cette
compétition, c'est tout notre système économique qui exige
d'être mis à niveau. (Seck 2003 : 18)
Ce tableau peu reluisant des composantes de l'économie
sénégalaise interpelle tous les acteurs, aussi bien le secteur
public que les entrepreneurs privés. Chacun ayant un rôle à
jouer. Ainsi, l'Etat est prêt à recourir à la
« privatisation » du réseau ferroviaire,
« handicapé par la vétusté des voies et du
matériel roulant qui n'autorise que des vitesses commerciales
extrêmement faibles» (Seck 2003 : 20), afin de favoriser
l'activité économiques des entreprises
sénégalaises. De même, le Gouvernement « a
choisi, à l'échelle du continent comme chez nous, de faire du
secteur privé le moteur principal de la croissance et du
développement » (Seck 2003 : 19). Toutefois,
l'engagement de l'Etat ne saurait, à lui seul, suffire. Il est essentiel
que le secteur privé joue pleinement sa partition. Ainsi, selon le
Premier ministre, « les entreprises elles-mêmes devront se
mettre à niveau pour tirer profit de ces efforts »
(Seck 2003 : 19)
La sincérité devient même un mode de
gestion des affaires de la Cité ; un cri de ralliement autour
duquel tout le monde devra se retrouver. D'où sa forme
d'énonciation qui n'est pas sans rappeler la tournure du slogan :
« Faisons une autre chose pour nos enfants »
(Seck 2003 : 15) ou encore : « Il nous faut soutenir
ce qui marche et optimiser les dépenses que nous
réalisons » (Seck 2003 : 15).
Au-delà de sa dimension
« utilitaire », la sincérité s'avère
comme une exigence d`ordre éthique qui impose au locuteur de
reconnaître ses limites en refusant de prendre des engagements qu'il ne
saurait tenir. C'est pourquoi, bien que conscient de la nécessité
de « (...) garantir, à chaque Sénégalaise et
chaque Sénégalais qui, par la grâce de Dieu, atteint
l'âge limite de la retraite, l'accès aux revenus conservés
pour lui tout au long de sa vie active » (Seck 2003 : 24),
le Premier ministre avoue son impuissance, en l'état actuel des choses,
à assurer ce droit :
Aujourd'hui, je ne suis pas en mesure de l'assurer, du fait de
la hausse de l'espérance de vie et de la baisse du nombre des cotisants.
(Seck 2003 : 24)
De la sorte, le Premier ministre donne l'image d'un homme en
rupture avec la représentation classique en cours à propos des
politiques. Ceux-ci, au sein de l'opinion publique, sont perçus comme
étant prompt à faire des promesses sans jamais les respecter. Par
là, l'ethos de l'homme sincère participe à instaurer
l'image singulière d'un homme qui appartient à la classe
politique tout en s'en détachant de par ses qualités
intrinsèques. A telle enseigne que la sincérité finit par
prendre les allures de reproches et de critiques véhémentes de
certaines pratiques sociales. En effet, le Premier ministre s'étonne de
constater que malgré les avancées technologiques et sociales qui
ont fait que l'Homme « a transformé le vent
impétueux en électricité, bravé les airs par ses
avions, exploré l'espace par satellites et fusées »,
« certaines choses apparemment simples restent encore à
l'état de chantier » :
Je veux parler de ce chauffeur qui brûle le feu de
Soumbédioune, ce monsieur qui, à la banque, refuse de faire la
queue, de cet agent d'entreprise ou de l'Etat qui veut monnayer
illégalement son service. (Seck 2003 : 28)
Tout en faisant preuve de raison pratique, par la
clarté et la cohérence du discours respectueux des formes et
innovant par un souci didactique et pédagogique marqué ;
affiché les attributs d'un homme vertueux, à travers la foi, la
justice, l'humilité, la sincérité, le Premier ministre
montre son attachement à son auditoire en affichant toute sa
bienveillance.
3.
L' « EUNOIA » OU LA BIENVEILLANCE
L'eunoia, c'est la bienveillance, l'attitude par
laquelle l'orateur est le plus apte à se faire aimer de par son
auditoire.
C'est ce que la nouvelle rhétorique et la pragmatique
moderne désignent sous le concept de prise en compte de l'auditoire. Car
la simple présentation de l'image de soi, si belle soit-elle, ne saurait
suffire pour accrocher son auditoire. En effet, la promotion de l'image de soi
peut entrer en conflit avec les valeurs du locuteur ou porter préjudice
à son image. Selon Erving Goffman, (Goffman 1973 II), l'un des pionnier
dans ce champ de la recherche, la relation ordinaire est conditionnée
par la considération et le travail des faces des interlocuteurs (c'est
le face work). Chacun devra faire respecter sa face et son territoire,
tout en ménageant la face et le territoire de son interlocuteur.
Ces "politesses" sous-tendent des enjeux identitaires et
relationnels. Goffman distingue deux notions : la notion de face,
c'est-à-dire l'image valorisée de soi-même et à
faire respecter, et la notion de territoire, correspondant aux biens, à
l'espace et au jardin secret. Prolongeant les travaux de Goffman, Brown et
Levinson (1987), parleront de "face positive", qui est l'image de soi
actualisée et valorisée sur la scène, et de face
négative, correspondant au territoire, chez Goffman, et qui
réfère à la sphère privée, au jardin secret.
Ils feront de la notion de face la règle centrale dans le cadre de la
gestion des relations interpersonnelles, en l'étendant notamment
à la notion de politesse. En tant que telle, la notion de face est
indissociable d'un mode opératoire constitué par les actes de
langage communément appelés FTA (Face Threatening Act)43(*).
La bienveillance consiste à montrer, envers son
auditoire, de la solidarité et de l'amabilité. Nous
étudierons la manifestation de ces deux dispositions à travers la
notion de politesse et l'image de serviteur du peuple que projette le
discours.
3.1 Le serviteur du peuple
Le Premier ministre, en libéral convaincu, ne pouvait
ignorer les craintes que son accession à la Primature pouvait susciter
au sein de franges importantes de la société. En effet, dans les
représentations collectives, le libéralisme renvoie à une
logique purement économique qui délaisserait la dimension
sociale. Aussi, le Chef du Gouvernement prend-il le soin de préciser les
contours de son action politique :
Le programme de mon Gouvernement est centré sur
l'Homme, sur le Sénégalais. Il est notre seule
préoccupation, notre seul centre d'intérêt. Nous voulons
nous intéresser au vécu quotidien du Sénégalais
plutôt qu'aux fluctuations de telle ou telle courbe. (Seck
2003 : 28)
Il se veut le serviteur du peuple, celui dont la
finalité de l'action serait de se mettre au service de tous les segments
de la société en améliorant leurs conditions d'existence.
Pour autant, il ne renie point ses convictions libérales. Car pour lui,
se mettre au service du peuple ne signifie pas assurer une assistance sociale
qui aurait les allures d'aumône. Au contraire, il assume la dimension
idéologique de ses convictions libérales qui demandent, non une
simple politique d'assistance, mais la création de conditions favorables
à l'épanouissement de chaque membre de la
société :
Il [le programme du Gouvernement] vise, par la nutrition, la
santé, l'éducation et une saine pratique du sport, à
donner à nos enfants les outils dont ils ont besoin pour affronter la
vie. Il vise à offrir à l'adulte le cadre optimal
d'éclosion de ses talents, et à organiser pour l'Ancien, une
vieillesse honorable, au moyen d'un système viable de retraite.
(Seck 2003 : 9)
Il s'agit donc là d'un libéralisme
« à visage humain »44(*) qui n'exclut pas l'assistance aux plus
démunis. En effet, l' « amour » (Seck
2003 : 8) qu'il voue au peuple sénégalais va
« au-delà » des « différences de
vision ou d'idéologie ». C'est ainsi que son programme
« (...) vise aussi, le cas échéant, à
prêter à tous, la chaude couverture de notre solidarité
nationale » (Seck 2003 : 9). Car sa vocation, en
définitive, est de mettre la majorité des
sénégalais dans des conditions acceptables. Aussi, soutient le
Premier ministre : « Mon ambition et mon devoir sont, de
modifier la physionomie de cette carte, en répondant à la demande
sociale » (Seck 2003 : 8).
Comme pour confirmer la dimension sociale de son
libéralisme, des mesures pratiques sont annoncées, allant dans le
sens de soulager les couches sociales les plus défavorisées.
C'est ainsi que le Premier ministre s'engage à faciliter l'accès
de tous à l'ensemble des services sociaux de base. Dans la
santé :
La disponibilité de médicaments de
qualité, accessibles financièrement, sera encouragée par
la promotion des médicaments génériques dans le secteur
public comme dans le secteur privé ; des comptoirs
génériques seront fonctionnels à partir de cette
année. (Seck 2003 : 16)
Mieux, « les citoyens plus démunis
bénéficieront bientôt d'une prise en charge gratuite au
niveau de nos établissements sanitaires ». De même,
l'accès des anciens aux infrastructures sanitaires sera
« favorisé par une politique de « tarifs
préférentiels ».
Dans le domaine de l'éducation, le Premier ministre
rappelle que « chaque année, l'Etat dépense 127
milliards dans l'éducation, C'est-à-dire 35 % du budget
national » et que « ce pourcentage devrait passer à
40 % en 2005 » (Seck 2003 : 15).
S'agissant de l'accès à l'eau,
d'importants programmes de réalisation de points d'eau
sont en cours d'exécution à travers tout le pays. Ces programmes
visent prioritairement la dotation de tous les chefs-lieux de
communautés rurales de forages motorisés. (Seck 2003 :
12)
Aux mesures prises dans le domaine des services sociaux de
base vient s'ajouter le recrutement massif de professionnels en charge de la
bonne marche de ces secteurs :
Il me plaît d'annoncer un programme spécial de
recrutement dans l'administration, et principalement dans les secteurs
stratégiques de l'éducation, de la santé, de la
sécurité, de la justice et des régies financières.
Dans la période 2003-2005, nous recruterons des médecins, des
infirmiers, des sages-femmes, des enseignants, des pompiers, des policiers, des
gendarmes, des douaniers, des inspecteurs, contrôleurs et agents du
trésor et des impôts, des magistrats et personnels de greffe.
(Seck 2003 : 18)
Et comme pour montrer le sérieux et la
crédibilité de cette promesse, qui ne saurait être
assimilée à un effet d'annonce, le Premier ministre rappelle que
ces nouveaux recrutements viennent compléter les « 11.563
recrutements dans la Fonction publique (...) auxquels l'Etat a
procédé entre 2000 et 2002 » (Seck 2003 :
18).
Mais être au service du peuple ne saurait se limiter
à des intentions. Cela nécessite une disponibilité des
ressources qui passe par une bonne gestion des deniers existants. Aussi, le
Chef du Gouvernement insiste-il sur la bonne gestion des finances publiques, de
la part du régime de l'Alternance, et qui justifie la prise de mesures
appropriées pour les différents segments de la
société. Une bonne gestion d'autant plus manifeste que le
Gouvernement a pu se permettre de ne pas utiliser, en 2002, les
« 10,5 milliards de FCFA » provenant de « a
contrepartie de l'accord de pêche signé avec l'Union
européenne » (Seck 2003 : 14).
D'où la récurrence de l'expression
«Grâce à la bonne tenue de nos finances publiques et à
la qualité du soutien de nos partenaires, donnant ainsi corps à
la volonté du président de la République, il me
plaît d'annoncer (...) » consacrant cette gestion
« efficace » et introduisant la proposition de plusieurs
mesures destinées à améliorer le vécu des
sénégalais dans différents domaines.
C'est ainsi que dans l'agriculture, le Premier ministre
annonce :
Grâce à la bonne tenue de nos finances publiques
et à la qualité du soutien de nos partenaires, donnant ainsi
corps à la volonté du président de la République,
il me plaît d'annoncer à Makhtar, à Goor et à Samba
Gaye (paysan de Tambacounda dont j'ai lu les poignantes complaintes dans la
presse), qu'à partir de demain, mardi, tous les paysans
détenteurs de bons, et précédemment recensés par
les gouverneurs, pourront se rendre auprès d'eux, munis de leurs titres,
pour être payés. (Seck 2003 : 11)
Dans le développement à la base, le Premier
ministre qui voudrait « que toutes les collectivités
locales soient en chantier », annonce une politique d'appui aux
collectivités locales :
Grâce à la bonne tenue de nos finances publiques
et à la qualité du soutien de nos partenaires, il me plaît
d'annoncer, donnant corps à la vision du président de la
République, que l'Etat mettra à la disposition des
collectivités locales un fonds de contrepartie de 4 milliards permettant
de mettre en oeuvre une politique d'investissement de 40 milliards sur toute
l'étendue du territoire grâce au financement de nos partenaires au
développement et ONG. (Seck 2003 : 27)
La bonne tenue des finances publiques permet aussi au Premier
ministre d'annoncer la prochaine indemnisation des victimes du naufrage du
bateau le Joola :
Grâce à la bonne tenue de nos finances publiques
et à la qualité du soutien de nos partenaires, il me plaît
d'annoncer que, donnant ainsi corps à la volonté du
président de la République, I'Etat est aujourd'hui prêt
pour procéder au paiement des indemnités. (Seck 2003 :
7)
En outre, elle rend possible le remplacement du bateau
naufragé car « l'argent est disponible, le dossier technique
prêt, vingt courtiers déjà saisis et l'affréteur
choisi » (Seck 2003 : 7).
Mais vouloir servir le peuple ne saurait dire avoir
l'exclusivité des interventions et des actions. Le souci
d'efficacité rend nécessaire « un partage juste,
équilibré, et pertinent des charges ». Aussi, le
Premier ministre est-il conscient qu'il « faudra une mobilisation de
tous les segments de notre société pour
accroître » les « chances de
succès ». D'où le souci du Chef du Gouvernement
d'impliquer les décideurs locaux dans le développement du
Sénégal :
Dans une approche décentralisée et de
proximité, j'ai retenu de partager la lourde charge qui m'est
confiée avec les 11 présidents de Conseils régionaux, les
4 maires de ville de la région de Dakar, les 43 maires d'arrondissement
de la région de Dakar, les 63 maires des communes de l'intérieur
du pays, les 320 présidents de communauté rurale. (Seck
2003 : 27)
La volonté de servir le peuple va bien au-delà
des moyens matériels et financiers disponibles. Elle semble prendre les
allures d'une vocation. C'est ainsi que le Chef du Gouvernement ne se contente
pas seulement de proposer des actions concrètes et réalisables au
moment de sa prise de parole. Il ira plus loin en étant aux
côtés des citoyens et en s'impliquant activement dans les
différentes activités qu'ils mènent :
Que le paysan sache que je serai avec lui dans les champs,
j'accompagnerai l'étudiant dans les couloirs de son établissement
et la ménagère devant les étals des marchés. Que
celui qui est malade sache que je cherche les moyens pour faciliter sa
guérison. (Seck 2003 : 28)
Et là où l'action concrète n'est pas
possible, le Premier ministre, en homme de foi, ne baisse pas les bras. Il
propose son intention45(*)
et ses prières :
(...) j'accompagnerai, par mon intention, dans la nuit et la
solitude de sa proximité avec Dieu, l'homme pur qui prie pour un
Sénégal de paix, de réussite et de
prospérité. (Seck 2003 : 28)
3.2 La politesse
La politesse rend possible la préservation mutuelle des
faces menacées par la plupart des actes de langage. La notion de
politesse dont il est ici question va au-delà des formules classiques.
Elle prend en compte l'ensemble des composantes du discours régies par
des règles, et qui ont pour fonction de rendre possible le
caractère harmonieux de la relation interpersonnelle. Dans le discours
politique, principalement caractérisé par des logiques de
domination, la notion de politesse prend toute sa place, en ce qu'elle
participe à créer les conditions d'un échange harmonieux,
en jouant notamment sur la face de l'auditoire. Par là, la politesse
participe de la visée séductrice, en ce qu'elle met l'allocutaire
dans une disposition plus favorable par rapport au message émis.
Nous distinguons deux formes de politesse : la politesse
positive et la politesse négative.
3.2.1 La politesse
positive :
La politesse positive est de nature productionniste : elle
consiste à effectuer un acte de langage valorisant : cadeau ou
compliment, marque d'accord, invitation etc. Relèvent de la politesse
positive les actes qui ont intrinsèquement un caractère
valorisant. La politesse positive prend appui essentiellement sur les FFA. Elle
est principalement constituée des actes de courtoisie.
3.2.1.1 Les marques de
courtoisie
Dans la Déclaration de politique générale
du Premier ministre Idrissa Seck, les marques de courtoisie sont
constituées, entre autres, par des honorifiques, des remerciements, des
manifestations d'accord, des compliments, des invitations etc.
ü Les
honorifiques :
Les honorifiques sont des « formes
grammaticalisées » de la déférence. Ils
participent à valoriser la face positive des allocutaires en faisant
référence à leur rang. Ils sont très
présents dans la Déclaration de politique générale
en ce sens que celle -ci est un échange entre l'Exécutif et le
Législatif. Dès lors, il est de bon ton que dans son discours, le
PM manifeste toute l'importance des représentants du peuple. En outre,
il est dans consacré, par les règles d'usage, de laisser des
marques discursives des allocutaires. Dans sa Déclaration de politique
générale, le destinataire premier du message, à savoir les
députés, sont nommés 31 fois. A 29 reprises, leur rang est
magnifié par le qualificatif « honorables ». Ce
qualificatif participe à rehausser le rang des élus du peuple en
valorisant leur face positive.
ü Les
compliments :
En prolongement des marques honorifiques, les compliments
participent à valoriser la face des destinataires directs ou indirects.
S'agissant des destinataires directs (les députés), nous avons le
groupe nominal « médium honoré » qui leur est
accolé ; pour les destinataires indirects, nous avons tous les
termes qui tendent à mettre en évidence l'importance de leur
statut, à mettre l'accent sur leur statut afin de flatter leur ego.
C'est d'abord le peuple en tant qu'entité abstraite et globale qui sera
glorifié par l'usage de l'adjectif « Souverain »,
utilisé pour le désigner. Ensuite, presque chaque segment du
peuple recevra, de la part du Premier ministre, sa dose de compliment.
Parlant des hommes de culture, le Premier ministre tiendra ces
propos :
Je salue par ce biais la créativité de nos
hommes et femmes du Monde des arts et de la culture. Leur contribution au
développement autant qu'au rayonnement de notre pays mérite notre
respect. Je citerai parmi tant d'autres Moussa Sène Absa, Alphonse Mendy
dit T. T. Fons et Moussa Mboup....Au moyen de leur génie et de leur
solide ancrage dans nos traditions et culture, ils nous ont sculpté deux
compatriotes que tous les Sénégalais connaissent. (Seck
2003 : 5)
Des handicapés, il nous dira que des
« trésors inestimables sont cachés »
auprès d'eux. Le compliment sera rehaussé par l'évocation
de figures légendaires dont le handicap n'a su freiner le génie
ou la combativité : Soundiata Kéita et Beethoven.
Les militaires aussi auront droit à un clin
d'oeil :
Permettez moi de dire à nouveau ma fierté et ma
reconnaissance au millier de soldats et à la quarantaine d'officiers
présentement engagés entre la République du Congo et la
République soeur de Côte d'ivoire dans la droite tradition des 59
missions de maintien de la paix conduites par nos forces armées dans 28
pays.... Ces compatriotes éloignés qui ont laissé le coeur
à la maison sans jamais négliger de rendre
régulièrement visite et de partager les bienfaits
collectés ailleurs. (Seck 2003 : 26)
Le Chef de l'Etat, quant à lui est souvent est
nommée soit par des périphrases élogieuses :
celui qui, tour à tour objet de critique et sujet de
fascination, épreuve après épreuve, échec
après échec, jalon après jalon, a attendu, avec endurance,
sans jamais perdre l'enthousiasme, l'avènement du changement, le 19 mars
2000. (Seck 2003 : 5),
soit par son rapport à ses réalisations ou
projet : « Le programme de construction des espaces jeunes, cher
au Président de la République »
ü Les remerciements
Les remerciements sont présents dans la
Déclaration de politique générale du Premier ministre
Idrissa Seck. Ils obéissent à des règles d'usages et sont
situés à l'entame du discours et :
Soyez en félicités et remerciés. Mes
félicitations et remerciements s'adressent également à
ceux qui m'ont précédé dans cette fonction. (Seck
2003 : 5)
et à sa clôture, par la formule habituelle :
« je vous remercie » (Journal des débats,
op.cit. : 28)
ü L'invitation
L'invitation participe de cette politesse positive qui permet
à celui qui la propose, de valoriser celui qu'il invite.
S'adressant aux membres de la société civile, le
Premier ministre explique :
Il s'agit de leur donner l'accès direct à mon
Gouvernement. Ma porte leur sera donc toujours ouverte pour l'échange et
l'information. Je compte sur eux tous pour établir un lien fort et
bidirectionnel entre le Gouvernement et les populations. (Seck 2003 :
9)
Aux membres des familles des victimes du bateau le
Joola :
Entourés des Ministres chargés de la Justice, de
l'Intérieur, des Finances et de la Solidarité Nationale,
j'inviterai les représentants des familles des victimes à un
échange sur l'indemnisation. (Seck 2003 : 7)
De même, parlant aux députés des chiffres
assez alarmants de l'éducation, le Premier ministre dis :
« Je vous invite donc à une concertation, afin de trouver,
ensemble, les moyens de renverser ces chiffres » (Seck 2003 :
5).
ü Les manifestations d'accord
Conformément à sa démarche participative
et afin de mettre à l'aise ses interlocuteurs dans le souci de favoriser
l'entente voire la complicité, le Premier ministre laisse
transparaître de marques d'accord entre lui et ses interlocuteurs. Ainsi,
parlant du programme du programme qu'il propose, le PM déclare :
Le programme autour duquel doivent s'organiser cette
mobilisation et cette communication est autant le vôtre que celui du
Gouvernement. (Seck 2003 : 9)
Et à propos de la demande sociale :
Je sais, Honorables députés, que vous veillerez
avec nous à amplifier, par son allocation optimale, la satisfaction de
la demande sociale. (Seck 2003 : 14)
Les manifestations dd`accord permettent d'impliquer
l'interlocuteur, de le responsabiliser et de rendre plus délicate la
manifestation d'un désaccord sur un sujet dont le consensus est
revendiqué.
Mais à côté de la politesse positive,
subsiste une autre forme de politesse dite négative.
3.2.2 La politesse
négative
La politesse négative est de nature abstentionniste ou
compensatoire: elle consiste à éviter de produire un FTA, ou
à en adoucir la réalisation.
Sachant parfaitement que leur douleur ne peut pas être
réparée par des moyens financiers, le Gouvernement tout entier
s'est néanmoins mobilisé pour que soit établie la liste
exhaustive des victimes et que soient identifiés les héritiers
des disparus par l'établissement de jugements
d'hérédité, afin que leur soit remis ce que la loi leur
octroie en matière d'indemnisation, au-delà des actes de
solidarité de tous les instants. (Seck 2003 : 6)
Dans cet exemple, la politesse négative est
compensatoire. En effet, le FTAS est constitué par la promesse
d'indemnisation qui semble la seule alternative offerte aux parents des
victimes du bateau le Joola dans une société ou la vie
humaine est sacrée et n'a pas de prix. Le groupe pronominal
« sachant parfaitement que leur douleur ne peut pas être
réparée par des moyens financiers » permet d'adoucir le
FTAS en prévenant sur son interprétation.
C'est le même procédé qui est
utilisé dans l'exemple ci-dessous : ayant projeté des cartes
illustrant la situation de la pauvreté au Sénégal, le PM
demande aux députés de regarder la carte. Pour éviter que
cette demande ne soit comprise comme un ordre, il exprime sa demande sous la
forme d'une invitation. L'invitation devient donc l'adoucisseur d'une demande
allures d'injonction : « Pour s'en convaincre, je vous invite
à regarder cette carte » (Seck 2003 : 6).
Ou encore,
Sur ce total, je suis profondément peiné de
constater que seules 78 victimes disparues ont pu faire l'objet d'un jugement
d'hérédité à ce jour. Je comprends qu'encore
meurtries par la douleur, les familles endeuillées n'aient pas fait de
ces démarches administratives une priorité...(Seck 2003 :
7)
De même, dans ce passage, après avoir
déploré le retard ou le peu de volonté de la part des
familles des victimes du naufrage, le Premier ministre atténue sa
critique en leur trouvant des circonstances atténuantes.
Dans cet autre exemple :
Mon ambition et mon devoir sont de modifier la physionomie de
cette carte, en répondant à la demande sociale (Seck 2003 :
8),
l'affichage de son ambition est atténué par le
fait qu'il demeure non seulement une simple volonté de sa part, mais un
impératif explicité par le substantif
« devoir ».
Dans le même ordre d'idée, le Premier ministre,
en sous-entendant lui-même la compétence des membres du
gouvernement qu'il s'est choisis déroge à la règle de
bienséance qui postule que l'individu ne vante pas ses propres
mérites. Ce non respect de la norme est cependant atténué
par l'implication des députés qui auraient eux-mêmes
constaté cette compétence :
Pour faire face à cette mission, un soin particulier a
été apporté à la composition du Gouvernement que je
dirige. Vous avez déjà eu l'occasion d'apprécier
l'engagement autant que la compétence des ministres qui le composent.
(Seck 2003 : 8)
Ce même procédé est utilisé
à propos des audits. L'idée répandue au sein de l'opinion
publique était que le Premier ministre pilotait directement les missions
d'audits et les utilisait à des fins politiques contre ses
éventuels adversaires. Mai le Premier ministre se décharge sur
son prédécesseur qui, selon lui était l'unique responsable
de la conduite des missions d'audits. Toutefois, pour évacuer toute
idée d'acharnement, il prend la précaution de louer d'abord son
mérite :
Mon prédécesseur Mame Madior Boye, à qui
je tiens à rendre hommage, ne m'a laissé en instance que 2
dossiers d'audit nécessitant des informations complémentaires.
Sur les 30 dossiers qui lui avaient été transférés,
l'ancien Premier ministre en a classé 10, et transmis 18 à la
justice. (Seck 2003 : 10)
Mais à côté de l'atténuation
simple, basée sur des formules de politesse ou de nuance, nous avons
d'autres formes d'atténuation, notamment l'atténuation par
modulation. La modulation est une diminution du degré d'auto implication
du locuteur dans son dire.
Selon Robert Vion, elle intègre
Tous les processus tendant à diminuer la part de
subjectivité, et donc de risque, que chacun peut investir dans
l'interaction [...] : le registre de l'euphémisme, de
l'atténuation (...) des discours précautionneux (...) des actes
indirects, des préliminaires, des justifications, des autocorrections,
etc. (Vion 1992 : 244)
Dans notre corpus, nous avons des exemples
d'atténuations par modulation. Ceux-ci concernent principalement le
recours à d'autres voix (discours rapporté, polyphonie) et
permettent d'aller vers l'autre, pour négocier cette co-construction du
sens sans trop exposer sa face ou celle d'autrui.
Réagissant au drame du bateau le Joola, le
Premier ministre n'a d'autre solution à proposer qu'un conseil en
même temps qu'une exigence : celui d'être fort. Or, il peut
paraître surprenant de ne pas l'entendre plutôt sur les
éventuelles mesures coercitives à infliger aux coupables.
Dès lors cet appel risque de constituer un auto-FTAs menaçant sa
face négative (crédibilité, pouvoir de sanction). Aussi,
afin d'adoucir cet acte menaçant, recourt-il à une autre voix qui
assure l'énonciation de l'acte de langage suspect.
Puis: Froid du Nord, déficit pluviométrique, et
Naufrage du Joola.
Cette dernière épreuve nous a le plus
profondément marqués.
J'ai assisté au concert des enfants de l'école
franco-sénégalaise Dial Diop, le quinze décembre dernier.
Ils ont chanté leur douleur en ces termes :
« C'était un bateau blanc.
Qui naviguait dans le vent.
Il s'appelait le Joola.
Aujourd'hui, il n'est plus là.
Il y'avait nos parents.
Il y avait nos enfants.
Il y avait nos amis.
La mer nous les a pris.
Quand le bateau a coulé,
Tout le monde a pleuré.
Il y a eu trop de morts.
Il faudra être fort. »
Oui chers compatriotes, il faudra être fort. (Seck
2003 : 6)
L'injonction est d'autant moins suspecte qu'elle proviendrait
d'enfants dont l`innocence exclue tout calcul.
Un deuxième exemple de politesse par modulation nous
est fourni par ce passage :
Si l'argument de son oncle était les bons
impayés, Goor pourra se faire l'écho de l'interpellation
pathétique que Mamadou Moctar Ndiaye, leader politique et compagnon de
combat du Président de la République, m'a adressée
à l'occasion de mon écoute de la CAP 21 :
« Tranquillisez le pays, Monsieur le Premier ministre. Payez les bons
des paysans. Même si nous savons que ces bons n'émanent pas
du Gouvernement ». (Seck 2003 : 11)
Qu'elle soit positive ou négative, la politesse rend
possible la préservation mutuelle des faces menacées par la
plupart des actes de langage. Elle participe de la gestion des faces dans la
mesure où elle permet au locuteur de se concilier son auditoire.
Cependant, la gestion des faces est rendue complexe par le fait qu'elle n'est
pas uniquement constituée par les actes de politesse. Elle
intègre aussi les actes menaçants.
La stratégie de gestion des faces est basée sur
de normes sociale et communicationnelle. Sur le plan social, elle
procède d'une volonté de ménager la face d'autrui afin de
ne pas choquer son auditoire. Sur le plan communicationnel, elle participe au
principe de coopération entre actants de la communication.
De manière spécifique, la stratégie de
gestion des faces mise en oeuvre ici est inséparable du genre auquel
appartient ce texte, à savoir le discours politique. En effet, dans le
discours politique, la gestion des faces est révélatrice des deux
principales logiques qui le caractérisent à savoir la logique de
domination et la logique de séduction. La logique de domination justifie
les actes menaçants tandis que la visée séductrice
sous-tend les éléments de politesse.
CONCLUSION :
Nous avons étudié les ressources de la
séduction dans la Déclaration de politique générale
du Premier ministre Idrissa Seck par le biais de l'ethos ou image discursive de
soi. En effet, séduire, c'est non pas convaincre ni persuader, mais
c'est plutôt se faire aimer. C'est ainsi que nous avons analysé
l'éthos préalable de Monsieur Idrissa Seck avant sa nomination
à la Primature. Cet ethos charriait, à côté de ses
aspects positifs, des représentations négatives. Dès lors,
il importait au Premier ministre nouvellement élu de projeter, dans son
discours, une image de soi qui accentue et renforce les éléments
positifs tout en en dissipant les aspects négatifs dont le plus marquant
est celui d'un homme suffisant, à la limite de l'arrogance. D'où,
certainement, sa volonté de montrer, juste avant son passage à
l'Assemblée nationale, son attachement au point de vue des autres,
à travers la démarche participative qu'il a adopté pour le
choix des grandes orientations à donner son discours programme.
Dans cette entreprise de lissage de son image dont certaines
parties étaient loin d'être des plus belles au sein de l'opinion
publique, les médias en général, la
Télévision d'Etat en particulier, a joué un rôle
stratégique à travers une présentation élogieuse et
flatteuse du Premier ministre juste avant sa prestation devant les
députés.
Le terrain ainsi déblayé, le Premier ministre
s'est efforcé, dans son discours, de projeter l'image d'un homme en
phase avec les aspirations et les attentes du peuple sénégalais.
Pour ce faire, il s'est évertué, dans son discours, à se
donner les attributs de l'homme doué de bon sens à travers un
discours bien structuré et méthodiquement décliné.
En outre, il a essayé d'incarner l'image de l'homme vertueux à
travers les valeurs de la foi, de la justice, de la sincérité et
de l'humilité. Enfin, il a fait preuve d'empathie à
l'égard du public, comme pour se le concilier définitivement, en
démontrant son attachement aux seuls intérêts du peuple
sénégalais et en faisant montre d'une courtoisie à
l'égard de son auditoire.
CONCLUSION GÉNÉRALE
La Déclaration de politique générale est
une obligation constitutionnelle. Elle consacre la rencontre entre
l'Exécutif et le Législatif à l'issue de laquelle les
orientations économiques, sociales et politiques, devant régir la
marche de la Nation, sont proposées, discutées et
éventuellement confirmées. Sa portée est intimement
liée à la notion de démocratie dont elle tire son sens. En
effet, elle permet aux députés, représentants du Peuple,
d'exercer un contrôle à priori sur la politique du Gouvernement.
Ce caractère démocratique justifie d'ailleurs sa nature publique
qui fait que tout citoyen peut assister à son déroulement.
Avec le développement des Nouvelles Technologies de
l'Information et de la Communication, le caractère public de cet
événement politique devient encore plus accru. Car le citoyen n'a
plus besoin de se déplacer jusqu'à l'Assemblée nationale
pour pouvoir suivre les débats qui y ont cours. Par la magie de la
retransmission en directe effectuée par les médias, chaque
sénégalais est en mesure de suivre les acteurs politiques
discuter de l'orientation à donner à la vie de la Nation.
Dès lors, la Déclaration de politique
générale sort de son cadre initial qui consiste en un
échange entre l'Exécutif et le Législatif. Elle devient,
par le biais de la médiatisation, le miroir, la scène à
partir de laquelle les acteurs politiques se donnent à voir, à
apprécier et éventuellement à aimer par le
« citoyen-spectateur-électeur ».
Ce faisant, il ne s'agira plus simplement de convaincre - car
il est difficile de convaincre un auditoire qui n'est forcément pas
celui auquel on fait face ; un auditoire qui nous voit, nous entend et que
l'on ne fait que deviner ; un auditoire composite,
« stratifié » aux centres d'intérêt
variés.
En outre, les nouvelles formes de médiatisation
marquées par le primat de l'image et du spectaculaire dans l'espace
public, les enjeux de pouvoir inhérents à la sphère
politique et la concurrence qui y a cours du fait de la démocratisation,
favorisent une logique de singularisation et de distinction du politique.
Celui-ci cherchera, de moins en moins, à convaincre mais plutôt
à séduire.
Une séduction que nous avons étudiée
à travers l'ethos qui est la projection de l`image de soi. La
séduction par l'ethos à consisté, entre autres, par
l'affichage de la part du locuteur, d'une image de soi idéale, en phase
avec les valeurs les meilleures ou reconnues comme telles par l'auditoire. Un
auditoire qui se trouvera inscrit au coeur même du discours, car
étant, en dernier lieu, le seul garant de la dimension performative du
discours qu'il est appelé à confirmer ou à infirmer par
l'adhésion à l'image qui lui est proposée ou le rejet de
celle-ci.
Ainsi, la Déclaration de politique
générale fera l'objet d'une mise en oeuvre stratégique en
vue de mieux susciter l'adhésion du public. Car comme l'a si bien
souligné Hilaire Bohui « (...) s'il existe un domaine
où le souci de la stratégie discursive et la quête de
l'efficacité sont la loi du genre, c'est bien celui de la
politique » (Bohui 2005 : p. 25).
C'est ainsi que le Premier ministre Idrissa Seck a opté
pour une stratégie de séduction par l'ethos. Celle-ci, sans
exclure l'improvisation et l'instantané caractéristiques des
interactions verbales classiques, n'en aurait pas moins favorisé un
certain nombre d'actions, d'attitudes et de propos dont la mise en oeuvre
pourrait assurer l`atteinte de l'objectif recherché. De ce fait,
l'entreprise de séduction ne s'est pas limitée au simple discours
tenu devant autrui. Elle a comporté une phase d'approche et de
« préparation » de soi-même, mais aussi de
l'autre, afin de créer les conditions favorisant une meilleure
disposition de la cible par rapport à l'émetteur.
Le Premier ministre a bâti sa stratégie de
séduction sur la présentation d'une image de soi (ethos),
valorisante. Il est parti de son ethos préalable, telle qu'elle
était perçue de manière générale par
l'opinion publique, pour en atténuer les aspects négatifs tout en
renforçant ses côtés positifs.
Ainsi, dans la Déclaration de politique
générale, par la stratégie de la séduction, nous
dépassons la dimension purement expressive de la communication pour nous
retrouver en plein dans la communication instrumentale. Car dans le discours
politique :
Celui qui parle- le sujet du discours - devient, au moyen de
certaines opérations linguistiques, un nouvel objet du monde: il
s'attribue - sinon de manière explicite, par connotation - une position
et des qualités qui définissent son identité politique.
(Maitland et Wilson, 1987, trad. Duchastel et Armony 1993 : 167)
C'est ainsi que l'énonciateur s'est attribué les
valeurs réputées consensuelles ou dominantes de sa
société : la foi, la justice, l'humilité, la
sincérité. Mieux, il cherchera à favoriser l'empathie
auprès de ses allocutaires en leur donnant une place
prépondérante dans son discours. D'où sa
solidarité, sa courtoisie et sa politesse.
C'est d'ailleurs, tout le sens de son « recours
à des oeuvres d'art comme paradigme de présentation »
(Seck 2003 : 9) de son programme, avec notamment les personnages de bandes
dessinées adaptés à la télévision,
Goorgoorlu et Ndioublang. En effet, le Premier ministre est
conscient de l'importance, pour lui, de donner à son discours un
« solide ancrage dans nos traditions et culture » (Seck
2003 : 10). D'où l'instrumentalisation des ces deux personnages
pour lesquels les sénégalais « ont une grande
sympathie, parce qu'en vérité, ils se reconnaissent en
eux » (Seck 2003 : 10).
Confirmant, de la sorte, les propos de Gourévitch qui
remarquait fort à propos que « la meilleure manière de
faire croire à un peuple qu'on s'adresse à lui, c'est de lui
renvoyer sa propre image » (Gourévitch 1998 : 75).
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* 1 Le corpus sur la
Déclaration de politique générale (Seck 2003) est
composé de trois types de documents : texte, audio et audiovisuel.
Le corpus textuel utilisé est celui contenu dans la transcription qui en
a été faite par les services de l'Assemblée nationale en
2003 (80 pages). Ce document, que nous désignerons par (AN, 2003),
comprend, entre autres, les questions des députés et les
réponses apportées par le Premier ministre.
Le corpus audio est constitué par l'enregistrement
effectué par Radio Sénégal. Le corpus audiovisuel quant
à lui, est constitué par l'enregistrement vidéo du
débat de politique générale faite par la Radio
Télévision Nationale. Les éléments d'analyse
tirés du corpus vidéo seront identifiés par la
dénomination RTS. En outre, nous avons exploité
l'émission en « avant-première »
intitulée « Pleins feux sur » qui a
précédé la Déclaration de politique
générale diffusée à la RTS deux heures avant. Le
corpus audiovisuel nous a permis d'étayer notre analyse sur le
dispositif de mise en scène télévisuelle et sur les
aspects liés à la communication non verbale et para verbale.
Toutefois, notre analyse a été sérieusement
handicapée par l'impossibilité de disposer de copies de cette
cassette de la part de la Télévision nationale. Nous nous sommes
contenté de trois séances de visionnage à raison d'une
séance par week-end vu la longueur du document (plus de 05 heures), dans
les locaux de la Télévision.
* 2 La pratique du
débat daterait du IXIÈME avant J.C. avec notamment
les débats homériques. Toujours, dans l'Antiquité, nous
pouvons relever les joutes éristiques et les topiques. Au moyen Age et
à la Renaissance, le débat est codifié sous le concept de
« disputatio ». De nos jours, nous avons le débat
parlementaire, le débat télévisé etc. A propos du
débat, nous pouvons relever l'analyse de GARCIA, C.,
« Argumenter à l'oral. De la discussion au
débat », in Pratiques 28, p. 95-124.
* 3 La troisième
catégorie d'institution étant le Judiciaire.
* 4 C.f.Chap. II. 1. Le cadre
institutionnel.
* 5 Les interventions ont
été réparties proportionnellement au poids politique des
différentes entités représentées à
l'Assemblée : Groupe Parlementaire Libéral et
Démocratique (majoritaire), Groupe Parlementaire de l'Espoir, Groupe
Parlementaire Démocratie - Justice -Solidarité, et
non-inscrits.
* 6 Notamment en son article
8.
* 7 Au moment de
l'indépendance, le Sénégal était dirigé par
un parti unique, l'Union Progressiste Sénégalais (UPS). A partir
de 1974, une ouverture démocratique est notée, avec
l'autorisation de quatre partis politiques sur des bases idéologiques
(le communisme, le libéralisme, les conservateurs et les socialistes. On
parlait alors de multipartisme limité. En 1983, le
Président Abdou Diouf est à l'origine du multipartisme
intégral qui permettait la libre création de partis politiques
sans limitation.
* 8 Le mot n'est pas trop
fort dans la mesure où ce sont des partis qui n'existent que de
manière purement administrative.
* 9 Si nous prenons exemple
sur la CAP 21, structure regroupant une quarantaine de partis autour du parti
majoritaire et dont moins de 10 peuvent se prévaloir d'activités
spécifiques.
* 10 Ce sont le Parti
Socialiste, le Parti Démocratique Sénégalais, l'Alliance
des Forces de Progrès, l'Union pour le Renouveau Démocratique,
And Jeff Parti Africain pour la Démocratie et le Socialisme, la Ligue
Démocratique / Mouvement pour le Travail, le Rassemblement National pour
la Démocratie, l'Alliance Jëf-Jël, la Convention des
Démocrate et des Patriotes, le Parti de l'Indépendance et du
travail, le Rassemblement National Démocratique.
* 11 Sopi signifie
changement en wolof. C'est le slogan, le cri de ralliement du Parti
démocratique sénégalais alors dans l'opposition dans sa
volonté de changer le pouvoir socialiste alors en place et de
transformer le vécu des sénégalais. Ce nom sera
donné, à la fin des années 80, à l'organe de presse
du PDS. De même, la coalition politique qui est partie unie aux
législatives de 2001 derrière le PDS porte ce nom.
* 12 Le monopole de l'Etat
sur les médias audiovisuels, d'une part, et le traitement
inéquitable de l'information politique par la Télévision
constitue l'une des limites du système démocratique
sénégalais. Cette situation est régulièrement
dénoncée par le Haut Conseil de l'Audiovisuel.
* 13 C'est le cas des
quotidiens Walfadjri, Le Soleil, Le Quotidien et
l'hebdomadaire Le Devoir.
* 14 Au niveau des radios,
les émissions interactives « la question du jour »
dans Sud Fm, Walf Fm et RFM.
* 15 Plusieurs sites
Internet disposent, à côté des rubriques d'information, de
forum de discussions consacrées entre autres, à
l'actualité, à la politique etc.
* 16 En 1986, le journal
« Liberté » diffusa un sondage qui plaçait
l'opposant Abdoulaye Wade à la tête des intentions de vote. La
réaction du pouvoir en place fut de rendre draconiennes les conditions
de réalisation et de diffusion des sondages politiques. En effet, la
loi n° 86-16 votée le 14 avril 1986 est à l'origine de la
commission nationale des sondages dont la mission est de « donner
des agréments aux organismes et aux personnes » souhaitant
réaliser des sondages destinés à être
publiés. Elle vérifie en outre de l'existence de
« moyens financiers et techniques indispensables à
réaliser des sondages d'opinion. Enfin, c'est elle qui délivre
l'autorisation de publication ou de diffusion des résultats,
« après contrôle des conditions de leur
réalisation ».
Ainsi, même si les sondages politiques ne sont pas
interdits en soi, il n'en demeure pas moins que les conditions de
réalisation ne sont pas pour les favoriser. Toutefois, c'est moins la
réalisation de sondages que leur diffusion qui est visée. En
effet, la loi dispose que « la publication ou la diffusion des
sondages ayant un lien commun direct ou indirect avec un
référendum ou une élection organisée par le code
électoral est interdite à compter de la date de publication au
Journal officiel du décret portant convocation du corps électoral
et jusqu'à la proclamation des résultats du scrutin».
* 17 Précisément
en son article 8.
* 18 Voir à ce propos
les travaux de Klinkenberg (Klinkenberg 1996 : 59-64).
* 19 Cette reformulation
introduit plusieurs concepts. D`abord celui de récepteur auquel on
substitue la notion de destinataire, mettant ainsi l'accent sur la notion de
feed-back ou retour d'information ; mais surtout la fragmentation subie
par le code. Celui-ci est plutôt présenté dans une
dynamique interactive avec les notions d' « encodage »
et de « décodage », de modèle de production
et de modèle d'interprétation. En outre, un accent particulier
est mis sur les « compétences idéologiques et
culturelles » ainsi que les « déterminations
psy-».
* 20 Dans le cadre de la
théorie des actes de langages conçue par Searle, chaque
énoncé comporte un aspect locutoire, un aspect illocutoire et un
aspect perlocutoire. L'aspect locutoire renvoie aux caractéristiques
syntaxiques et sémantiques "objectives" de l'énoncé,
l'aspect illocutoire à la valeur d'acte que prend l'énoncé
et l'aspect perlocutoire l'effet concret que produit l'énoncé
dans le monde réel, ou encore le taux de succès ou
d'efficacité de cet énoncé.
* 21 Pour Baudrillard,
« la séduction représente la maîtrise de
l'univers symbolique alors que le pouvoir ne représente que la
maîtrise de l'univers réel. La souveraineté de la
séduction est sans commune mesure avec la détention du pouvoir
politique ».
* 22 La Constitution, dans
son Titre II consacré au Président de la République
indique clairement : Article 42 : Le Président de la
République est le gardien de la Constitution. Il incarne l'unité
nationale. Il est le garant du fonctionnement régulier des institutions,
de l'indépendance nationale et de l'intégrité du
territoire. Il détermine la politique de la Nation.
Article 49 : Le Président de la République nomme
le Premier ministre et met fin à ses fonctions. Sur la proposition du
Premier ministre, le Président de la République nomme les
ministres, fixe leurs attributions et met fin à leurs fonctions.
* 23 La « marche
bleue consistait, pour le Pds, à battre campagne à travers les
différentes villes du Sénégal, sous la forme d'un convoi
qui traversera le Sénégal de bout en bout avec l'avantage de ne
pas tenir systématiquement des meetings politiques. Ceux-ci
nécessitant une logistique et des moyens financiers dont le Pds ne
disposait pas.
* 24Selon l'hebdomadaire
indépendant Nouvel Horizon en date du 03 Juin 2005, « Idrissa
Seck était [quand il était Directeur de cabinet du Chef de
l'Etat] l'homme fort du régime libéral après Wade. Celui
qui avait l'oreille du président et qui, par le truchement de celui-ci,
faisait et défaisait toutes les carrières dans les sphères
de l'Etat et dans l'appareil du Pds.
* 25 Les cas les plus
patents sont ceux des frondeurs de Dakar : Doudou Wade, Lamine Ba et Abdou
Fall. Les deux derniers nommés seront d'ailleurs écartés
du Gouvernement. C'est le même sort que subira le Ministre Aminata Tall.
Ironie du sort, toutes ces personnes siègent actuellement au
Gouvernement contrairement à monsieur Seck qui est présentement
incarcéré à la prison de Rebeuss.
* 26 Idrissa Seck
déclara, quelques semaines seulement après la formation du
Gouvernement de l'Alternance, qu'il battrait Moustapha Niasse, le Premier
ministre et en même temps allié du PDS, aux prochaines
élections législatives.
* 27 Arrivé
troisième au premier tour de l'élection présidentielle, il
a soutenu, au deuxième tour de l'élection présidentielle
de 2000, le candidat opposant Abdoulaye Wade, qui sera finalement élu et
qui fera de lui son Premier ministre.
* 28 Mame madior Boye est
une juriste de formation, sans appartenance politique. Elle a d'abord
été ministre de la Justice dans le premier Gouvernement de
l'Alternance avant d'être nommée Premier ministre de mars 2001
à novembre 2002.
* 29 Cette information n'a
jamais été démentie officiellement. Toutefois nous n'avons
pas pu en vérifier la véracité. Toutefois, il existe un
site Internet portant le nom du Premier ministre Idrissa Seck sur lequel est
inscrite cette phrase : « Idrissa Seck, next
President ». Voir
www.idrissaseck.com site
visité le 29 juillet 2005.
* 30 Issa Sall,
« L'Homme pressé », Nouvel Horizon N° 217 du 14
avril 2000.
* 31 Nous avions
souhaité rencontrer l'ancien Premier Ministre pour vérifier
à son niveau la réalité de certains
présupposés, dont, entre autres, s'il s'était
livré à un « médias training »,
à savoir un entraînement, une répétition
générale afin d'optimiser sa prestation. Malheureusement, la
semaine retenue pour l'entretien a coïncidé avec son interrogatoire
dans le cadre des « chantiers de Thiès ».
* 32
L'événement est un "fait ou situation qui se produit dans le
réel, et dont les médias rendent compte sous la forme d'une
stratégie appelée médiatisation de
l'événement. (.....) En ce sens, il s'agit d'une circonstance
qui, en soi, n'a ni signification, ni valeur particulière; c'est dans la
communication que l'événement faisant l'objet d'une diffusion,
d'une circulation entre les destinataires de l'information, va avoir une
fonction symbolique : va être doté d'un sens" (Lamizet et Silem
1997 : 237).
* 33 Il s'agit notamment de
Walf Fm, de Sud Fm et de radio Sénégal
* 34 "Les
événements sociaux ne sont pas des objets qui se trouveraient
tout faits quelque part dans la réalité et dont les médias
nous feraient connaître les propriétés et les avatars
après-coup avec plus ou moins de fidélité. Ils n'existent
que dans la mesure où ces médias les façonnent" (VERON
1981 : 1).
* 35 Il y a eu la
Déclaration de politique générale de Moustapha Niasse en
2000 et celle de Mame Madior Boye en 2001.
* 36 Les Romains, dans le
sillage d'Isocrate, puis de Quintilien, considéraient l'ethos comme un
élément plutôt social (lié au statut social et aux
moeurs de l'orateur), que discursif. Cette conception connaîtra une
évolution à l'âge classique avec l'introduction de la
notion de moeurs oratoires pour désigner l'ethos que l'on oppose aux
moeurs sociales. Une distinction ainsi expliquée par le
rhétoricien Gibert Cité par Le Guern (1977 :
284) : « Nous distinguons les moeurs oratoires d'avec les
moeurs réelles. Cela est aisé. Car qu'on soit effectivement
honnête homme, que l'on ait de la pitié, de la religion, de la
modestie, de la justice, de la facilité à vivre avec le monde, ou
que, au contraire, on soit vicieux, [...] c'est là ce qu'on appelle
moeurs réelles. Mais qu'un homme paraisse tel ou tel par le discours,
cela s'appelle moeurs oratoires.
* 37 Dans le Coran, sourate
Le tonnerre verset onze.
* 38 La prière
elle-même est précédée d'une intention. Donc son
intention viendra se joindre à l'intention du prieur.
* 39 Une pureté
à la fois physiologique mais aussi spirituelle.
* 40 L'Audit, au demeurant,
ne se limitera pas à un stock de dossiers passés, mais
accompagnera de façon permanente, comme outil de prévention
autant que de répression, la gestion en cours. Et c'est là que
réside son vrai rôle au service de la transparence
élevée au rang d'obligation constitutionnelle par notre
régime.
* 41 Pour les notions de
position, voir Kerbrat-Orecchioni, (Orecchioni 1992 I : p. 95).
* 42 Le corps enseignant
serait la catégorie socioprofessionnelle majoritaire à
l'Assemblée nationale.
* 43 Les FTA (Face
Threatening Act) sont des actes de langages verbaux et non verbaux qui menacent
les faces des interactants. On distingue quatre types de FTA: actes
menaçant la face négative de celui qui les accomplit (offre,
promesse, etc.); actes menaçant la face positive de celui qui les
accomplit (aveu, autocritique, etc.); actes menaçant la face
négative d'autrui (violation de nature non verbale, questions
indiscrètes, actes directifs, etc.) et actes menaçant la
face positive de celui qui les subit (critique, réfutation, etc.).
L'interaction n'est pas uniquement le lieu d'une
confrontation. Il aussi un espace de recherche de consensus et d'accord.
Dès lors, nous notons, à cotés des FTAS constitutives de
la marque agressive, les anti-FTA ou FFA (face flattering acts). Ils valorisent
l'une ou l'autre des faces en réalisant une politesse négative
(par atténuation ou occultation du FTA), et positive avec des actes ou
des comportements valorisants.
* 44 Cette expression a
été utilisée par le Premier ministre Moustapha Niasse lors
de sa Déclaration de politique générale en 2000.
* 45 L'importance de
l'intention est très nette dans la religion musulmane. En effet, le
Prophète, dans un de ses hadiths (propos), aurait
souligné que « les actions ne valent que par les
intentions ».
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